Zone de libre-échange continentale : la consécration du panafricanisme

À l’heure où les tensions commerciales augmentent à l’échelle mondiale, l’Afrique préfère opter pour l’intégration économique. Le 30 mai 2019 est désormais une date clé pour le continent. La ZLECAf est officiellement entrée en vigueur. Elle pose la première pierre d’un marché unique  de 1,2 milliard d’habitants, au PIB estimé à 2 500 milliards de dollars. Tous n’ont peut-être pas encore signé, certes, mais pas moins de 49 pays, dont l’Afrique du Sud, ont ratifié l’accord du 21 mars 2018. Les biens et services, mais aussi les personnes et les capitaux, vont théoriquement circuler librement à travers les vastes territoires africains. L’Afrique, sur les questions commerciales qui la concernent, va sur la base de cette logique devoir parler d’une seule voix. 

Il était temps ! Le commerce intra-africain, qui plafonne à 12 % de moyenne, contre 60 % pour l’Europe et 30 % en Asie du Sud-Est, regorge d’opportunités encore inexploitées. Diversifier la production, les exportations, créer des chaînes de valeur régionales… Tous ces leviers représentent les pièces de ce qui sera le moteur d’une croissance africaine inclusive. 

Nos économies, on le sait, restent extraverties. Les trois quarts des exportations portent sur des matières premières non transformées, à destination d’autres continents. S’ouvrir les portes à soi-même relève d’une question de bon sens, mais aussi de survie. Rien ne stimulera mieux les manufactures, l’agriculture, les industries agroalimentaires et donc l’emploi que l’ouverture de notre immense marché intérieur. 

Certaines règles, notamment tarifaires, doivent être précisées sur une première liste de produits lors d’une rencontre des experts de l’Union africaine avec les ministres africains du Commerce, prévue en juin à Kampala. Quant à la phase opérationnelle de la ZLECAf, elle sera lancée le 7 juillet, à l’occasion du sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA.

Entendons-nous bien cependant : tout ne reste pas à faire, mais bien à concrétiser. Le projet repose sur un socle déjà solide, le Plan d’action pour stimuler le commerce intra-africain (Action for Boosting Intra-African Trade, BIAT), lancé en 2012 par l’UA. Il s’agit de rendre la ZLECAf opérationnelle en levant au plus vite les contraintes au commerce intra-africain, liées notamment aux règles commerciales, aux infrastructures, au financement, à l’information et l’intégration du marché. Ce plan d’action se décline à court, moyen et long terme par pays, région et à l’échelle de l’Afrique.

N’oublions pas, enfin, que l’Afrique n’est pas isolée du reste du monde. Au contraire. Depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’économie mondiale a connu deux tendances transversales : l’essor de chaînes de valeur régionales et la négociation d’importants accords commerciaux régionaux – transatlantique, transpacifique ou continentaux, comme l’accord de partenariat unique entre l’ASEAN, la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Les dragons asiatiques ont émergé grâce à leur intégration régionale, entre autres. Dans le même élan, le “Made in Africa”, en ébullition, ne demande qu’à se libérer de ses carcans.

Les transferts de fonds de la diaspora, sources de financement incontournables pour l’Afrique

Les transferts de fonds de la diaspora, qu’ils soient formels ou informels, ont longtemps été sous-estimés. Pourtant, ils caractérisent une large part de la vie financière de l’Afrique. Ces flux financiers entre particuliers contribuent largement à la croissance économique des pays africains : entre 10 % et 20 % du PIB de certains pays, du Sénégal au Lesotho, grâce aux transferts d’argent qui passent par des canaux formels. Selon la Banque mondiale, les transferts d’argent vers l’Afrique subsaharienne représentent 46 milliards de dollars pour l’ensemble du continent en 2018. Cette manne est donc devenue plus importante que l’aide publique au développement.

Les bailleurs de fonds ont mis beaucoup de temps à réaliser l’importance des transferts d’argent en provenance de la diaspora africaine. Le premier rapport de référence a ainsi été publié seulement en 2010 par la Banque mondiale et la BAD. Ce dernier estimait alors que les 30 millions de ressortissants africains qui forment la diaspora, Afrique du Nord incluse, ont procédé à des transferts “formels” par des canaux bancaires classiques. (voir ci-dessous les principaux montants des transferts d’argent en Afrique)*

Autre catégorie de flux moins documentée – pourtant cruciale au quotidien -, sont les fonds qui transitent entre les pays africains, à l’image des opérateurs nigériens qui s’approvisionnent par exemple en intrants agricoles en Côte d’Ivoire, des expatriés somaliens qui subviennent aux besoins de leurs familles depuis l’Afrique du Sud, ou des constructeurs maliens qui s’approvisionnent en ciment au Sénégal. Ces échanges n’impliquent pas forcément des transferts directs. Ils reposent avant tout sur une forme d’économie « relationnelle » propre à notre continent et se fonde sur la confiance.

On constate aussi qu’une partie importante des transferts transitent par des voies informelles. En réalité, cet argent circule à travers des réseaux ingénieux, visant à contourner les réglementations sur le contrôle des changes ou les commissions prélevées sur les virements internationaux. Un simple appel téléphonique entre New York et Dakar suffit, via des banques gérées par les “Modou-Modou”, des petits commerçants appartenant à la communauté musulmane des mourides. Ces transferts dématérialisés reposent sur des réseaux de connaissances et d’intermédiaires prélevant de petites commissions : un opérateur informel au Maroc va par exemple prendre l’argent d’un sénégalais au Maroc qui souhaite le transférer chez lui, mais garder les espèces pour une transaction différente effectuée par un autre client sénégalais au Maroc.  

Les commissions sont deux fois moins élevées que les 10 % environ que facturent certains géants des transferts d’argent très actifs en Afrique et présents dans toutes les villes d’où partent les migrants, comme Louga au Sénégal ou Kayes au Mali. Le marché est immense, dès lors que 80% de la migration africaine s’effectue à l’intérieur du continent selon l’Union africaine. 

Ces agences se partagent l’essentiel d’un secteur en pleine expansion, 61 % des parts d’un marché de 4 milliards de dollars par an d’après la Banque mondiale. Un filon convoité par les banques (32 % des parts de marché), les postes (5 %), mais aussi, de plus en plus, par les opérateurs de téléphonie mobile. Certains opérateurs notamment au Kenya ont changé la donne à l’image du porte-monnaie électronique M-Pesa. La formule a fait des émules un peu partout sur le continent.

Qu’en conclure ? La balle se trouve donc dans le camp des banques et des opérateurs du secteur formel, et non celle des tontines ou des usuriers. Les banques et les opérateurs qui se sont lancés dans le mobile banking devraient être accompagnés par les États, dotés de systèmes de garantie pour les crédits aux ménages et aux PME. 

Deux pays donnent l’exemple. L’Éthiopie a lancé en 2002, un site Internet, l’Ethiopian Diaspora Directorate, qui recense pour les membres de la diaspora les opportunités d’investissement dans le pays. Très active dans leur pays d’origine, la diaspora éthiopienne a investi plus de 56 millions de dollars dans le projet de construction de l’un des plus grands barrages hydroélectriques d’Afrique, le Grand Renaissance. Le Rwanda, lui, a lancé en 2012 le fonds souverain de solidarité Agaciro, qui a rassemblé en quatre ans 51,5 millions d’euros.

De fait, les success stories financières africaines ne manquent pas. Le réseau de transfert de fonds Dahabshiil, fondé en 1970 à Dubaï par l’homme d’affaires somalien Abdirashid Duale, a pris les dimensions d’une multinationale… Il compte plus de 2 000 employés dans 144 pays, qui ont l’avantage de recevoir des salaires déclarés, avec des fiches de paie. Un bon moyen de sortir du secteur informel, tout en tirant parti de l’apport colossal des émigrés, qu’ils soient sur le continent ou ailleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Source : The Global Knowledge Partnership on Migration and Development, 2019

Journée mondiale de l’Afrique : vers des solutions durables aux déplacements forcés

La Journée de mondiale de l’Afrique nous permet, en tant qu’Africains, de célébrer la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) le 25 mai 1963. Une date qui marque une étape importante dans l’histoire de notre continent, une étape où les fondateurs ont signalé au monde que les Africains étaient prêts à travailler ensemble. La solidarité panafricaine est la clé de notre avenir. 

Kwame Nkrumah, l’un des leaders à l’origine de la création de l’OUA, disait : “Les forces qui nous unissent sont intrinsèques et supérieures aux influences superficielles qui nous séparent”. C’est encore le cas aujourd’hui dans le cadre de l’Union africaine où l’accent est mis non seulement sur les défis politiques, mais aussi sur les défis économiques et le développement, ainsi que sur la création d’opportunités actuelles et futures pour la jeunesse africaine. 

Les personnes déplacées, sujet majeur pour l’Afrique, font l’objet d’une discussion permanente entre les responsables africains et la communauté internationale, en quête de solutions adaptées, transfrontalières et transversales. Cette responsabilité sociétale de premier plan voit aussi les gouvernements africains s’emparer de la question, pour en discuter avec d’autres partenaires du secteur privé et de la société civile à l’intérieur de leurs frontières. 

Priorité de l’Union africaine pour 2019, les réfugiés et les personnes déplacées ont été au coeur des African Dialogue Series (ADS) 2019, du 21 au 23 mai à New York, organisés par le Bureau du conseiller spécial sur l’Afrique (OSAA), en collaboration avec la Commission de l’UA (CUA) et en présence de nombreuses grandes agences des Nations unies.  Ce sujet est tombé à point nommé, juste avant la célébration de la Journée mondiale de l’Afrique, le 25 mai à New York, par la mission permanente de l’UA auprès des Nations unies. 

Les chiffres montrent que l’Afrique subsaharienne abrite près de la moitié des 11,8 millions de nouvelles personnes déplacées dans le monde à cause des conflits pour la seule année 2017, selon l’International Displacement Monitoring Center (IDCM). Le pays le plus touché est la République démocratique du Congo, avec 2,2 millions de nouveaux déplacements en 2017, sur un total de 4,5 millions de personnes déplacées. Viennent ensuite le Soudan du Sud, l’Éthiopie et la République centrafricaine. Du bassin du Lac Tchad à la Somalie, les conflits sont le plus souvent en cause, de même que la sécheresse et les catastrophes naturelles. On oublie trop souvent que ces phénomènes naturels causent de nombreux déplacements de personnes (2,6 millions de personnes en 2017). 

Cette question complexe interpelle en premier lieu les pays signataires, en 2009, de la Convention de Kampala sur la protection des personnes déplacées. L’Afrique s’est engagée à apporter des réponses, puisque les personnes déplacées relèvent des autorités de leur pays. À New York, un diagnostic très simple a été posé, portant sur la bonne gouvernance. Celle-ci se trouve au cœur des solutions, d’abord et avant tout pour assurer la dignité des citoyens, qui doivent avoir la maîtrise de leur propre destinée. Les bonnes pratiques ont par ailleurs été évoquées, avec l’exemple du Niger, premier pays africain à adopter en 2018 une loi nationale sur la protection et l’assistance des personnes déplacées.

C’est une bonne chose que la célébration de la Journée mondiale de l’Afrique nous permette de réfléchir à la meilleure façon pour le continent et ses partenaires d’assumer leurs responsabilités. C’est pourquoi, en tant qu’Agence de développement de l’Union africaine – NEPAD, nous voudrions transmettre nos meilleurs vœux à tous les Africains partout sur Terre. Ensemble, nous gagnerons ce combat et réaliserons « l’Afrique que nous voulons ».

Statistiques, industrialisation et révolution agricole, 3 défis pour le continent : une lecture de l’Afrique en transformation de Carlos Lopes

L’Afrique et le défi statistique
L’Afrique doit investir dans la production de données de meilleure qualité, car l’absence de systèmes statistiques fiables et indépendants peut compromettre aussi bien le diagnostic que la prévision. Nombre d’analyses sont faussées par l’absence de statistiques fiables. Ainsi, dans de nombreux pays, le Produit intérieur brut serait sous-estimé, avance Carlos Lopes. Mais si l’on mesure mal la richesse, comment mettre en place les politiques fiscales appropriées ? La capacité contributive de l’Afrique est sans doute minorée. Un effort d’imposition de 1% supplémentaire, qui peut sembler marginal, rapporterait pourtant davantage que la totalité de l’aide au développement des pays industrialisés ! Nous le répétons volontiers, mais ce point est essentiel : le renforcement des capacités statistiques de l’Afrique doit être une priorité, tant pour les pays pris séparément que pour l’Union Africaine et les organes qui y sont rattachés. Ce fut un des points clés de la stratégie de Carlos Lopes quand il était à la tête de la CEA.

L’Afrique et le défi de l’industrialisation
Le livre de Carlos Lopes alimentera la réflexion sur le modèle de développement que doit emprunter l’Afrique pour créer les conditions d’une transformation structurelle de son économie. Car, en dépit d’une résilience remarquable observée depuis la crise financière de 2008, en dépit de taux croissance moyens parmi les plus élevés de la planète ces dix dernières années, le Continent n’a pas réussi à créer suffisamment d’emplois ni même à endiguer l’extrême pauvreté. Le dynamisme de ses marchés intérieurs, la bonne tenue de ses exportations et l’augmentation significative des flux d’investissements ne compensent pas l’absence de véritables politiques industrielles.
Les exemples du Brésil de la période 1950-1980, de la Chine qui, après sa révolution agricole, s’est transformée en usine du monde, et, plus récemment, de la Malaisie ou des Émirats Arabes Unis montrent que l’émergence est inséparable du processus d’industrialisation. Le constat que dresse Carlos Lopes est préoccupant : la part de l’Afrique dans la production industrielle mondiale a régressé d’un quart entre 1980 et 2010, passant de 1,9% à 1,5%. L’auteur plaide pour un protectionnisme intelligent, inspiré des politiques mises en place dans les pays devenus émergents, et pour une approche volontariste des pouvoirs publics à ce sujet. L’échec des tentatives d’industrialisation menées dans les années 1960 et 1970 ne doivent plus servir d’excuse à l’inertie car les contextes et les objectifs ont radicalement muté.

L’Afrique et le défi de la productivité agricole
Il est urgent de changer notre regard sur l’agriculture et de reconnaître que « l’agriculteur est un entrepreneur comme un autre », pour reprendre la formule que j’employais dans mon livre L’Afrique à l’heure des choix (Armand Colin, 2017). C’est aussi l’idée martelée avec force par Carlos Lopes qui souligne que les défis de l’industrialisation et de la modernisation du secteur agricole sont intimement liés. Certes, la plupart des pays du continent ont doublé leur taux moyen de transformation après le lancement du PDDAA, en 2003, et l’augmentation de la productivité agricole a atteint 67% en moyenne, mais ce taux masque d’énormes disparités. Les progrès restent insuffisants, même si l’Égypte, la Côte d’Ivoire, le Nigeria ou le Ghana ont accompli des performances remarquables. Le rendement moyen des cultures céréalières en Afrique ne représente que 40% du rendement mondial moyen. L’agriculture de subsistance sur de petites parcelles, caractérisée par une très faible productivité, reste le mode de production dominant (80%). Il ne permet pas de dégager des surplus. Marginalisés, les exploitants ont peu accès aux financements et ne parviennent pas à s’intégrer dans la chaîne de valeur.
Un changement de paradigme est pourtant indispensable. L’agriculture africaine va devoir accompagner la croissance démographique exponentielle et l’urbanisation rapide du continent : dès 2020, 50% des Africains vivront en ville. La révolution de l’agro-business ne saurait être différée plus longtemps et les leaders de cette révolution doivent être ceux qui sont appelés les « petits producteurs ».

Quelques conseils aux boursiers Tutu…

Le 29 avril, je me suis rendu à Stellenbosch, dans la province du Cap-Occidental, en Afrique du Sud, pour échanger avec les boursiers Desmond Tutu 2019. Mon ouvrage, l’Afrique à l’heure des choix, a suscité une discussion passionnante et j’ai encouragé les boursiers à essayer, avec diligence, d’allier les solutions techniques aux solutions politiques dans tout ce qu’ils entreprennent. J’ai mis en avant les exemples suivants pour illustrer ce point : si les boursiers, travaillent dans l’agriculture, leur objectif pourrait renforcer une association d’agriculteurs, ou s’ils travaillent dans le domaine de la santé, cela pourrait aider une communauté en matière nutrition.

J’ai également exhorté les boursiers à se créer des réseaux au-delà de leurs domaines actuels, car cela leur permettra de créer des synergies et d’avoir un plus grand impact dans la société. J’ai également encouragé les jeunes dirigeants en affirmant que les changements progressifs apportés à court et à moyen terme contribueront à la réalisation des objectifs à long terme et susciteront ainsi une transformation.

J’ai conclu en disant que la valeur de toute démocratie réside dans ses valeurs inhérentes de dignité, de liberté et d’égalité, qui sont essentielles pour un système démocratique afin d’éviter le développement de conflits.

Mon message lors du SOAS African Development Forum 2019

Bonjour à tous,

Merci de cette invitation qui m’honore. C’est toujours un grand plaisir pour moi de revenir à l’université, lieu où j’ai passé de nombreuses années, parmi les meilleures, à apprendre ou à rendre ce qu’on m’avait appris.

Aujourd’hui, c’est en tant que praticien du développement que je viens vous voir.

Je souhaite plus particulièrement intervenir sur les défis posés au développement de notre continent, plus particulièrement du point de vue de « l’in.sécurité », le thème du Forum cette année, qu’il faut comprendre de façon élargie.

Je voudrais évoquer les événements extraordinaires qui ont marqué la politique africaine cette semaine. Je pense tout particulièrement à la situation algérienne. La décision prise par le président Bouteflika est remarquable à de nombreux égards.

Il convient de la saluer en souhaitant la meilleure issue possible au peuple algérien qui a démontré durant ces manifestations toute sa maturité politique. On sait le rôle crucial que les étudiants ont joué dans la mobilisation.

Depuis deux ou trois ans, je dis que 90% des chefs d’État que nous connaissons actuellement ne seront plus là dans dix ans. Ma prévision se réalise un peu plus à chaque élection, ou à chaque renouvellement de l’offre politique. Et ils ont été nombreux en Afrique ces dernières années.

De plus en plus, la démocratie va progresser au rythme de la jeunesse. Par définition, les transitions à venir portent en elles le renouveau, mais elles peuvent aussi être sources d’instabilité, d’insécurité…

Ces changements interviennent alors que l’Afrique est en train de vivre une période charnière de sa mondialisation. Le monde s’éveille à l’importance de l’Afrique, qui abritera un terrien sur quatre en 2050, dans à peine une trentaine d’années. Les théories du Africa rising ont laissé place à la formule non moins bien marquetée du « New scramble for Africa ».

Cette nouvelle appellation me semble plus juste que la précédente. En tout cas, elle permet de mieux refléter le chemin original que peut prendre une Afrique souveraine, libre de ses choix et courtisée par des puissances étrangères et des entreprises venues du monde entier.

Permettez-moi d’insister sur cinq principes généraux qui mêlent économie et politique et qui me semblent quelques clés pour que ce formidable basculement auquel l’Afrique fait face se déroule bien.

Pour être acceptées par les peuples, c’est ma conviction intime que les réformes « technocratiques » que nous devons entreprendre doivent refléter une vision politique partagée par le plus grand nombre, en l’occurrence la jeunesse de nos pays.

C’est un constat particulier au défi démographique africain et aux centaines de millions de jeunes Africains qui vont arriver en âge de travailler dans les 15 prochaines années.

Premièrement, je voudrais aborder la question de la co-production des politiques publiques comme fondement de toutes les grandes décisions qui vont impacter les populations. Tous les événements récents démontrent à quel point la question n’est pas tant de savoir quelle solution technique élégante choisir que celle qui suscitera l’adhésion chez les populations.

Les systèmes institutionnels et législatifs en Afrique souffrent d’une faiblesse majeure et peu étudiée : le manque de consultation de la population. Les citoyens sont appelés à voter tous les cinq ans, sur des slogans plutôt que des programmes dont les détails leur sont, de toute façon, rarement dévoilés.

Il ne s’agit pas d’établir une hypothétique « démocratie directe », mais d’accroître les formes et les canaux de participation des citoyens dans la vie publique en Afrique. Ce serait une sorte de « syncrétisme institutionnel », en ce qui concerne la définition et la mise en œuvre des politiques publiques.

Il nous faut pour cela puiser dans notre tradition et retourner aux sources de l’arbre à palabres ou de l’indaba. L’Afrique du Sud a inventé les commissions vérité et réconciliation, le Rwanda les tribunaux « gacaca »… Nous sommes capables d’augmenter la participation aux grandes décisions qui nous concernent.

Il s’agit de créer des espaces au sein desquelles les populations sont informées, consultées et impliquées dans la sélection et la réalisation des principaux chantiers censés – c’est le but, après tout, de la démocratie – assurer et promouvoir leur bien-être.

Il nous faut formuler notre diagnostic dans nos propres termes. C’est l’absence de diagnostic propre qui a trop souvent été la cause essentielle de l’échec des politiques de développement tentées un peu partout en Afrique, et le manque d’appropriation qui en découle.

Comment voudrions-nous prononcer un diagnostic pertinent si nous ne sommes pas en mesure d’écouter nos populations ?

Deuxième point, il nous faut reconnaître que les réponses optimales à nos grands défis se trouvent aux niveaux régional et national, suivant une approche intégrée. Les États d’Afrique doivent apprendre à fonctionner ensemble au sein des grandes régions, qui en retour devraient être en mesure de les intégrer.

Je constate avec optimisme que la visite du Premier ministre éthiopien au Kenya a permis de relancer l’idée du LAPSSET, un projet de corridor régional de première ampleur qui devrait permettre de désenclaver une immense région et démultiplier le commerce entre ces deux grandes nations d’Afrique de l’Est.

La coopération régionale n’est pas basée sur une vision romanesque du continent ou une ignorance des réalités économiques. Au contraire, c’est précisément en raison de ces réalités économiques que nous devons défendre les vertus de la concertation.

Au-delà des bénéfices évidents de la mutualisation des infrastructures, la coopération régionale est indispensable pour combattre ou renforcer d’autres aspects du développement africain.

Ainsi en est-il de la négociation des accords commerciaux extérieurs, de la mise en place de bourses régionales (l’Afrique orientale montre le chemin avec le segment agricole de la Bourse de Kigali), des règles communes pour différentes professions, de l’homologation des diplômes, de l’harmonisation des qualifications, etc.

Outre les bienfaits liés aux économies d’échelle induits par la mutualisation des efforts de formation, la reconnaissance réciproque, à l’échelle régionale, des diplômes obtenus dans les pays africains a l’avantage de mieux ancrer les populations, d’encourager la mobilité géographique, donc la concurrence, et, partant, les niveaux de rémunération.

Ce ne sont que quelques exemples.

Troisièmement, comment les intérêts privés peuvent participer de façon rentable aux nouveaux défis. Je pense notamment à la manière dont les entreprises agro-alimentaires, avec les moyens qui sont les leurs, peuvent réellement participer à la professionnalisation et à l’émergence d’une classe d’agro-entrepreneurs.

L’Afrique, avec encore près de 60% de sa population toujours rurale, offre l’opportunité d’expérimenter des nouvelles méthodes. Cela reste un défi et une gageure diront certainement beaucoup d’entre vous, mais je crois que certains acteurs internationaux dans le domaine de l’agro-alimentaire prennent conscience de la nécessité de changer de modèle productif et voient l’Afrique comme l’occasion de développer des modèles originaux en accord avec les populations.

Le développement d’une industrie agro-alimentaire de qualité aura des effets bénéfiques d’entraînement sur des secteurs-clés de l’économie. En effet, au-delà de la production, ce sont les filières, les industries de transformation, et plus généralement tout le secteur des sous-traitants, des récoltants aux producteurs et aux distributeurs, qui se verrait dynamisé par une meilleure organisation du secteur alimentaire.

Quatrième point, le recours plus large aux nouvelles technologies pour recenser nos citoyens et d’apporter une identité politique au plus grand nombre, non seulement pour une meilleure gestion statistique, représentativité démographique, mais aussi accès aux services sociaux (versements d’aide de la part de l’État) via un compte associé.

Cette identité financière dont le développement va s’accélérer avec un taux d’équipement en smartphones en constante progression va avoir des effets inimaginables sur le secteur informel.

Rappelons que le secteur informel est une composante essentielle de la plupart des économies subsahariennes, où sa contribution au PIB s’échelonne entre 25% et 65% et où il représente entre 30% et 90% de l’emploi non agricole.

Si le secteur informel était organisé de façon plus efficiente, il pourrait grandement améliorer le sort de centaines de millions de nos concitoyens. Pour l’instant, le secteur informel n’a pas diminué avec la croissance économique. Au contraire, il a eu tendance à croître plus rapidement que le reste de l’économie.

Les nouvelles technologies nous offrent une opportunité de créer le lien entre deux mondes économiques presque parallèles, le formel et l’informel. La conjugaison des forces vives de l’informel avec la capacité presque organique des nouvelles technologies à connecter et à organiser une nouvelle interaction économique peut déclencher le décollage économique de notre continent.

Et pour finir permettez moi quelques mots sur la question plus générale de l’aide. L’aide est par définition transitoire, pour aider à surmonter une période difficile. Quand elle démontre au capital privé que l’investissement est rentable, elle a fini de jouer son rôle. Elle est par nature transitoire, ou bien alors c’est que l’on pense que notre continent est condamné à demeurer sous perfusion.

Je pense que l’aide publique qui vient des pays développés vers les pays du Sud n’existera plus dans dix ans. Cette aide publique est aujourd’hui destinée de moins en moins aux questions de santé, d’éducation… et de plus en plus aux questions de sécurité et de migration. Ce n’est déjà plus l’aide classique à laquelle on pense.

Autre signe de ce « New scramble for Africa », toutes les récentes rencontres du G7 et du G20 mettent en avant le rôle du secteur privé, européen, américain, japonais, dans les projets de développement et sous la forme de partenariats public-privé. Il faut que l’Afrique se rende compte que l’aide, c’est terminé. Les donateurs, qui étaient au centre des politiques de développement il y a vingt ans, n’y sont plus.

Réalisons que cette aide est bien inférieure, deux fois au moins, à ce que le continent reçoit en versements de la diaspora. Si on compare les flux de l’aide, 25 milliards de dollars, aux flux financiers illicites, plus de 50 milliards selon la CEA, on se rend compte que, si on faisait notre travail à travers de meilleurs systèmes de gestion des taxes, des impôts, des systèmes douaniers, on n’aurait pas besoin de cette aide. De même si nous réussissons à être sérieux sur nos mécanismes de mobilisation des ressources internes…

C’est dans cet esprit là que les pères fondateurs du NEPAD, et plus largement de toute l’architecture institutionnelle panafricaine, une génération qui, avec la décision de M. Bouteflika, a d’ailleurs désormais fini de laisser la place à la suivante, c’est pour que l’Afrique parle d’une seule voix à tous ses partenaires, pour qu’elle pèse plus lourd dans les débats.

Avec l’importance que nous acquérons dans le concert des nations, je suis en effet plutôt optimiste quant à la suite de notre trajectoire.

Merci encore de m’avoir donné l’occasion de partager avec vous ces quelques réflexions. J’espère qu’elles vous seront utiles dans la suite de vos choix professionnels et personnels.

L’Afrique a besoin d’accomplir son « big push » dans le domaine des infrastructures

On parle souvent en Afrique des opportunités offertes par le « leapfrog », ces sauts technologiques qui vont permettre au continent de se développer de façon accélérée en apprenant des expériences vécues par les autres pays du monde et en adoptant plus rapidement des nouvelles technologies. Mais s’il y a bien une étape que l’Afrique ne pourra pas sauter, c’est celle des infrastructures. Car, malgré son ouverture sur l’extérieur, avec un littoral tourné vers l’exportation de matières premières à destination des pays industrialisés, le continent reste la région la plus marginale dans le commerce mondial… et la moins intégrée à l’intérieur de ses propres frontières, les échanges interafricains ne dépassant guère 13 % du total du commerce extérieur de l’Afrique subsaharienne.

Selon les estimations, le « fossé » en termes d’investissement dans les infrastructures en Afrique est compris entre 130 et 170 milliards de dollars par an. Le combler permettrait une hausse annuelle de 2,6 % du revenu moyen par tête, selon la Banque mondiale – soit un bond très rapide de la croissance. L’accès à l’électricité, dont ne bénéficient que 43 % des ménages, se trouve en tête de liste, avec l’accès à l’eau potable et les infrastructures de transport. Relier les villes et les régions entre elles par la route, le rail et les voies aériennes ne relève plus seulement de la nécessité. Amplifiés par une urbanisation rapide, ces besoins représentent aussi d’énormes opportunités, qui contribuent à faire de l’Afrique l’une des dernières frontières de la croissance dans le monde.

Une prise de conscience globale s’est faite en ce sens dans les années 2000. Des réponses à la hauteur des enjeux ont été recherchées. La Facilité de préparation des projets d’infrastructures (Nepad-IPPF) a ainsi été lancée en 2005 pour soutenir les infrastructures régionales. Alimenté par plusieurs pays donateurs, ce fonds a permis de boucler les financements de 30 projets, à hauteur de 24 milliards de dollars. Fort de ce succès, l’Afrique a décidé d’aller plus loin en 2012, avec son Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA), lancé à l’initiative de la Commission de l’Union africaine (UA), du Nepad, de la Banque africaine de développement (BAD), de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et des communautés économiques régionales. Face à la diversité des initiatives nationales, régionales et internationales, la synergie entre la Commission de l’UA et les communautés économiques régionales s’avère centrale.

Aujourd’hui, à travers « l’Agenda 5% », nous voulons mobiliser une source de financement gigantesque et presque « naturelle » : les fonds de pension et les fonds souverains africains. Nous estimons que les investisseurs institutionnels africains détiennent plus de 1 100 milliards de dollars. Pour l’instant, ces fonds sont investis dans des actifs ultra-sécurisés tels que des obligations d’État américaines ou, ce qui est assez ironique, des routes et aéroports européens.

Comment pouvons-nous nous attendre à ce que les investisseurs étrangers viennent investir chez nous si nous n’investissons pas dans notre propre avenir ? Nous proposons que ces fonds de pension et fonds souverains africains investissent au moins 5% de leurs actifs sous gestion pour combler le déficit de financement des infrastructures en Afrique. Cela représenterait environ 55 milliards de dollars. Aujourd’hui, avec la mise en place aux États-Unis de la Development Finance Corporation – dont l’objectif consiste à dérisquer les financements des investisseurs institutionnels en direction notamment de l’Afrique – l’Afrique doit saisir l’occasion de montrer la voie. C’est pourquoi un Mécanisme de garantie des infrastructures africaines (AIGM) est en cours d’élaboration avec la Banque africaine de développement (BAD). En matière d’infrastructures, nous plaidons non pas pour un leapfrog, mais bel et bien pour un « big push » !

D’ici à 2063 : quatre grandes transitions auxquelles les gouvernements africains devraient prêter attention

Un nouveau rapport définissant la voie à suivre pour une véritable transformation de l’Afrique vient d’être publié. « Africa’s path to 2063 : a choice in the face of great transformations », développé par le Frederick S. Pardee Center, se distingue notamment par sa réflexion de long terme. Nous étions particulièrement fiers de travailler avec des chercheurs internationaux de haut niveau pour mieux comprendre les tendances de notre développement et la voie à suivre pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2063, le cadre stratégique de l’Union africaine pour la transformation socio-économique du continent au cours des 50 prochaines années.

Ce rapport s’appuie sur un logiciel de prévisions quantitatives macro-intégré et révèle les principales transitions auxquelles l’Afrique sera confrontée d’ici à 2063. Quatre grands thèmes de transition sont identifiés : la transition démographique, la transformation du développement humain et de l’inégalité, la transformation technologique et la transformation environnementale.

Le document met l’accent sur ces transitions prévisibles qui devraient être discutées, planifiées et opérées afin d’accroître les opportunités de développement et afin de relever les défis actuels et futurs de l’Afrique. Par exemple, selon l’étude, la population africaine passera de 1,3 milliard à 3 milliards en 2063. Le rythme rapide de la croissance urbaine contraste avec la lenteur des transformations structurelles qui l’accompagnent. Une urbanisation maîtrisée apportera le développement économique, social et humain.

En outre, la croissance économique dans la majorité des pays africains a réduit l’écart de revenu par habitant par rapport aux pays développés, mais il a été constaté que, d’ici à 2063, l’inégalité entre les pays riches et les pays pauvres se creusera encore davantage. Il s’agit d’un appel urgent à créer rapidement des mécanismes de redistribution organisés par les États.

Le rapport conclut que le développement technologique aura un impact positif sur la croissance économique en Afrique. Bien que plus faible que dans d’autres régions, des progrès ont été enregistrés sur le continent, y compris dans les télécommunications qui constituent un marché à fort potentiel. Le Rwanda a considérablement amélioré ses rendements agricoles de 5,6 tonnes par hectare en 2007 à 9,6 tonnes en 2013. La technologie peut être associée à des politiques publiques efficaces.

L’une des principales préoccupations est que notre continent semble être l’un des plus vulnérables au changement climatique. Cela devrait encourager les États africains à adopter une agriculture respectueuse du climat et à prendre des mesures pour promouvoir les technologies vertes. L’évolution des formes de gouvernance permettra de faire face à ces transformations et aux multiples défis qu’elles impliquent. Les pays ont plus que jamais besoin d’adapter leur modèle pour plus de flexibilité et de participation de la société civile.

À cette fin, le rapport met en lumière quatre grandes transitions qui serviront de cadre aux gouvernements africains. Cela exige une compréhension des changements en cours et des choix politiques qui peuvent être faits pour promouvoir le développement tant attendu de l’Afrique. Les États africains, associés aux organisations régionales et continentales, ont les moyens, mais aussi le devoir, de tenir compte de ces transitions et de les inclure dans leur planification stratégique.

Un « leapfrog » alimentaire est possible en Afrique

D’ici à 2050, la planète devra nourrir 10 milliards de personnes en tenant compte de l’impact de la production alimentaire sur le climat. Autrement dit, il s’agira de produire assez pour tous sans épuiser l’eau, la terre et la forêt. Une gageure ? Pas forcément…

C’est ce qu’indiquent 37 experts de 16 pays, qui se sont penchés sur cette question très concrète : quels régimes nutritifs sains peuvent-ils être tirés d’une exploitation agricole durable ? Leurs réponses, assorties de cibles chiffrées à travers le monde, représentent une première. Elles se trouvent dans le rapport sur l’alimentation, la planète et la santé de la commission formée par l’ONG EAT Forum et la revue médicale britannique The Lancet.

Un régime sain pour l’homme et durable pour la planète, selon le rapport, porte pour moitié sur des fruits et légumes, puis des céréales et légumes secs (lentilles, fèves, noix, pistaches, etc) et entre 0 et 186 grammes de viande par jour. Le document est déjà sorti en Australie, aux États-Unis et en Indonésie, où il a fait déjà fait couler de l’encre. Il fait aujourd’hui l’objet d’un lancement africain, en marge du 32esommet de l’Union africaine, en partenariat avec le Nepad.

Les défis restent colossaux, en fonction du contexte de chaque région du monde. En Afrique, le tableau s’avère contrasté. Pas moins de 59 millions d’enfants souffrent de malnutrition chronique, tandis que 9 millions se trouvent au contraire en surpoids. Le Sahel, les Grands lacs et Madagascar restent les régions les plus exposés à l’insécurité alimentaire. En même temps, des maladies de pays riches se répandent à la faveur de l’urbanisation, de l’essor des classes moyennes et du changement des habitudes alimentaires. Obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires et cancer sont en progression.

Bonne nouvelle cependant : l’Afrique est l’une des rares région du monde, souligne le rapport EAT Lancet, où la consommation de légumes s’avère plus importante que le niveau recommandé, et celle de protéines animales inférieure au maximum souhaitable. De l’Égypte à l’Afrique du Sud en passant par le Rwanda, céréales et protéines végétales tirées des fèves, pois, haricots et autres légumes secs entrent déjà dans la composition des plats quotidiens.

Personne n’en a encore pleinement conscience, mais sur le plan alimentaire, un « leapfrog » est possible sur le continent. Ce « saut de grenouille » est déjà bien connu des observateurs du secteur des télécommunications. L’essor de la téléphonie mobile s’est opéré sans passer par l’étape de la généralisation des lignes fixes, comme dans les pays industrialisés. En adaptant dès à présent sa consommation et son agriculture au climat, le continent pourrait sauter une autre étape importante : celle de l’agro-alimentaire industriel des pays du Nord, avec ses effets néfastes pour la santé et l’environnement.

Il sera possible, conclut le rapport EAT Lancet, de nourrir la planète sans dommages sur le climat, à plusieurs conditions. La consommation de protéines végétales doit augmenter partout, pour voir baisser la part des protéines animales. Il faudra aussi réduire de moitié les volumes de nourriture jetée chaque jour dans le monde, ainsi que les récoltes perdues – un problème crucial en Afrique. La recette, désormais, se trouve entre nos mains. À chacun d’entre nous de donner l’exemple.

Perspectives de croissance en Afrique : la qualité importe plus que la quantité

La Banque africaine de développement vient de publier ses Perspectives économiques en Afrique. L’institution panafricaine basée à Abidjan prévoit que le PIB de l’Afrique devrait augmenter de 4 % cette année, contre 3,5 % en 2018. Ce taux devrait s’accélérer pour atteindre 4,1 % en 2020. Si les perspectives macroéconomiques de l’Afrique s’améliorent indubitablement après plusieurs années de vents contraires, je voudrais alerter sur la nécessité de rester prudent.

D’abord parce que les chiffres sont encore bien en deçà de la moyenne de plus de 5 % que le continent a connue au cours de la décennie précédant la crise des matières premières de 2015, et sont insuffisants pour faire reculer la pauvreté et créer des emplois, comme le souligne très justement le rapport. Malheureusement, depuis des années, la croissance du PIB sur le continent ne se traduit pas en développement économique, en raison d’un manque de réformes structurelles. On ne peut éluder le fait que l’Afrique abrite toujours près de 400 millions de personnes vivant dans une extrême pauvreté. Et que sa part dans le PIB mondial ne dépasse pas les 3%.

En outre, selon l’Indice Ibrahim 2018 de la gouvernance africaine, les opportunités économiques pour les citoyens africains ne se sont améliorées que de 0,2% depuis 2008, malgré une croissance de 40% du PIB du continent. La création d’emplois a augmenté de 1,8% par an entre 2000 et 2014 selon les perspectives de la BAD, soit une croissance inférieure à celle de la population active, estimée à 3% par an. Dans un contexte démographique où 440 millions de jeunes Africains arriveront à l’âge de chercher un emploi dans les quinze prochaines années, il est plus qu’urgent d’agir.

Or il est inquiétant de constater que l’Afrique compte encore trop peu d’exemples de décideurs politiques déterminés sur la voie de la réforme structurelle. La nécessité de réformer s’intensifie dans un contexte de risques croissants liés aux tensions commerciales et à la vulnérabilité de la dette, sujets que j’ai déjà eu l’occasion d’aborder sur ce blog. Je m’inquiète même que les chiffres de croissance économique favorables présentés par la Banque africaine de développement ne rendent complaisants certains décideurs politiques qui peuvent faire valoir ces bonnes performances pour justifier l’inaction.

Comme le dit l’adage en Afrique : la croissance ne se mange pas. Pourtant, ce n’est pas une fatalité : nombreux sont les pays où la croissance « se mange ». De fait, l’Afrique a besoin d’une meilleure croissance, pas seulement d’une croissance plus forte. Pour l’obtenir, les solutions sont bien connues : réformes structurelles, intégration régionale, investissements dans l’éducation et les infrastructures, pour l’instant largement insuffisants si nous voulons former et donner toutes ses chances à la prochaine génération. C’est une responsabilité collective qu’il nous faut assumer ici.

Enfin, c’est aussi la responsabilité des élites politiques de créer la richesse économique qui nous permettra de nous émanciper de l’aide au développement dont nous sommes encore dépendants. Trop nombreux sont ceux qui l’ignorent, mais 80% de nos États pourraient aujourd’hui s’en passer. Je n’entends pas me placer « contre » cette aide, mais j’aimerais rappeler qu’elle est par définition transitoire. Or la nature de la croissance que nous créons en Afrique risque de nous maintenir dans cet état de dépendance. Il y a aujourd’hui véritablement urgence à réfléchir ensemble à créer les conditions d’une « croissance qui se mange » !