Les transferts de fonds de la diaspora, sources de financement incontournables pour l’Afrique

Les transferts de fonds de la diaspora, qu’ils soient formels ou informels, ont longtemps été sous-estimés. Pourtant, ils caractérisent une large part de la vie financière de l’Afrique. Ces flux financiers entre particuliers contribuent largement à la croissance économique des pays africains : entre 10 % et 20 % du PIB de certains pays, du Sénégal au Lesotho, grâce aux transferts d’argent qui passent par des canaux formels. Selon la Banque mondiale, les transferts d’argent vers l’Afrique subsaharienne représentent 46 milliards de dollars pour l’ensemble du continent en 2018. Cette manne est donc devenue plus importante que l’aide publique au développement.

Les bailleurs de fonds ont mis beaucoup de temps à réaliser l’importance des transferts d’argent en provenance de la diaspora africaine. Le premier rapport de référence a ainsi été publié seulement en 2010 par la Banque mondiale et la BAD. Ce dernier estimait alors que les 30 millions de ressortissants africains qui forment la diaspora, Afrique du Nord incluse, ont procédé à des transferts “formels” par des canaux bancaires classiques. (voir ci-dessous les principaux montants des transferts d’argent en Afrique)*

Autre catégorie de flux moins documentée – pourtant cruciale au quotidien -, sont les fonds qui transitent entre les pays africains, à l’image des opérateurs nigériens qui s’approvisionnent par exemple en intrants agricoles en Côte d’Ivoire, des expatriés somaliens qui subviennent aux besoins de leurs familles depuis l’Afrique du Sud, ou des constructeurs maliens qui s’approvisionnent en ciment au Sénégal. Ces échanges n’impliquent pas forcément des transferts directs. Ils reposent avant tout sur une forme d’économie « relationnelle » propre à notre continent et se fonde sur la confiance.

On constate aussi qu’une partie importante des transferts transitent par des voies informelles. En réalité, cet argent circule à travers des réseaux ingénieux, visant à contourner les réglementations sur le contrôle des changes ou les commissions prélevées sur les virements internationaux. Un simple appel téléphonique entre New York et Dakar suffit, via des banques gérées par les “Modou-Modou”, des petits commerçants appartenant à la communauté musulmane des mourides. Ces transferts dématérialisés reposent sur des réseaux de connaissances et d’intermédiaires prélevant de petites commissions : un opérateur informel au Maroc va par exemple prendre l’argent d’un sénégalais au Maroc qui souhaite le transférer chez lui, mais garder les espèces pour une transaction différente effectuée par un autre client sénégalais au Maroc.  

Les commissions sont deux fois moins élevées que les 10 % environ que facturent certains géants des transferts d’argent très actifs en Afrique et présents dans toutes les villes d’où partent les migrants, comme Louga au Sénégal ou Kayes au Mali. Le marché est immense, dès lors que 80% de la migration africaine s’effectue à l’intérieur du continent selon l’Union africaine. 

Ces agences se partagent l’essentiel d’un secteur en pleine expansion, 61 % des parts d’un marché de 4 milliards de dollars par an d’après la Banque mondiale. Un filon convoité par les banques (32 % des parts de marché), les postes (5 %), mais aussi, de plus en plus, par les opérateurs de téléphonie mobile. Certains opérateurs notamment au Kenya ont changé la donne à l’image du porte-monnaie électronique M-Pesa. La formule a fait des émules un peu partout sur le continent.

Qu’en conclure ? La balle se trouve donc dans le camp des banques et des opérateurs du secteur formel, et non celle des tontines ou des usuriers. Les banques et les opérateurs qui se sont lancés dans le mobile banking devraient être accompagnés par les États, dotés de systèmes de garantie pour les crédits aux ménages et aux PME. 

Deux pays donnent l’exemple. L’Éthiopie a lancé en 2002, un site Internet, l’Ethiopian Diaspora Directorate, qui recense pour les membres de la diaspora les opportunités d’investissement dans le pays. Très active dans leur pays d’origine, la diaspora éthiopienne a investi plus de 56 millions de dollars dans le projet de construction de l’un des plus grands barrages hydroélectriques d’Afrique, le Grand Renaissance. Le Rwanda, lui, a lancé en 2012 le fonds souverain de solidarité Agaciro, qui a rassemblé en quatre ans 51,5 millions d’euros.

De fait, les success stories financières africaines ne manquent pas. Le réseau de transfert de fonds Dahabshiil, fondé en 1970 à Dubaï par l’homme d’affaires somalien Abdirashid Duale, a pris les dimensions d’une multinationale… Il compte plus de 2 000 employés dans 144 pays, qui ont l’avantage de recevoir des salaires déclarés, avec des fiches de paie. Un bon moyen de sortir du secteur informel, tout en tirant parti de l’apport colossal des émigrés, qu’ils soient sur le continent ou ailleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Source : The Global Knowledge Partnership on Migration and Development, 2019

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