Les communautés locales, relais dans la lutte contre la pandémie

Les organisations locales africaines contribuent fortement à contenir la pandémie. Elles ont montré à travers le temps leur utilité sociale et leur capacité de résilience.

L’AUDA-NEPAD a pris très tôt la mesure de la pandémie et de l’importance d’une réponse coordonnées au niveau continental. Nous avons noué des partenariats, mobilisé des ressources avec la création d’un fonds pour lutter contre le coronavirus, dont les engagements totalisent déjà 20 millions de dollars.  Nous avons planifié les modalités d’intervention de lutte contre cette pandémie dans les domaines stratégiques de santé publique et plus largement de politique publique, mais aussi en soutien au secteur privé sévèrement impacté par la récession mondiale. Notre plan d’action vise principalement les sept domaines suivants : Prestation de services de santé ; ressources humaines pour la santé ; recherche, développement, innovation et fabrication locale ; éducation et formation ; compétences et employabilité ; sécurité alimentaire et nutritionnelle ; et financement.

Sur le terrain, au quotidien, des agents de développement local, des responsables politiques, associatifs ou religieux communiquent au plus près des communautés pour faire ce travail, ô combien essentiel de sensibilisation à la lutte contre le virus. Les dispositifs mis en place cette dernière décennie pour lutter contre les différentes épidémies notamment contre le virus Ebola permettent aujourd’hui de disposer des infrastructures, des personnes et des ressources mobilisables rapidement.

En Sierra Leone, les centres de santé communautaire ont été construits au fil du nombre de cas de personnes infectées par le virus Ebola. Ils ont servi à mettre en quarantaine et à soigner ceux qui pouvaient encore l’être. Un maillage constitué de soignants, des auxiliaires médicaux formés pour les assister, de membres de la communauté villageoise, de responsables régionaux a permis de détecter, d’isoler les malades et de sensibiliser les familles pour éviter la propagation du virus. Ce dispositif a fait ses preuves, le dernier cas Ebola en Sierra Leone a été soigné début mars 2020 quelques jours avant que le premier cas de Covid-19 soit déclaré dans le pays.

« À travers le continent, à chaque fois qu’il a fallu se mobiliser, nous avons pu compter sur nos réseaux de proximité, engagés au service de la communauté. »

Les enseignements alors tirés ont permis au pays d’anticiper la propagation de la pandémie suivante. Le même type de maillage s’est créé au Nigeria pour endiguer la polio. Ce même réseau des agents de santé communautaire, plus de 7000 à travers le pays, a été formé dans des délais record à la détection de tout cas suspect de Covid-19. Nous pourrions citer bien d’autres exemples au Ghana, au Sénégal, en Maroc, en Éthiopie, au Rwanda et partout en Afrique, de réseaux locaux qui, de manière agile et résiliente, ont pris le relais des gouvernements dans cette lutte contre la propagation du virus.

L’AUDA-NEPAD a conscience du rôle central de nos communautés traditionnelles, religieuses ou locales dans le développement inclusif du continent. L’Agenda 2063, adopté en 2015, s’appuie sur les organisations traditionnelles pour soutenir nos politiques de développement.  À travers le continent, à chaque fois qu’il a fallu se mobiliser, nous avons pu compter sur nos réseaux de proximité, engagés au service de la communauté.

Les sociétés africaines sont des sociétés de communautés, et non d’individus. Elles sont maillées d’innombrables solidarités qui leur donnent cette très forte résilience. Elles structurent les liens sociaux et soutiennent le développement économique, encore plus chez les jeunes, les femmes et les populations vulnérables. Elles préservent nos cultures pour permettre de les faire survivre au temps qui passe, au mépris des pires catastrophes même sanitaires. La gestion de la pandémie du Covid-19 particulièrement dans les pays occidentaux dont le fonctionnement communautaire est moins ancré dans la culture nous rappelle que les solutions se trouvent chez nous. Et peut-être le reste du monde pourrait-il s’en inspirer.

Ouvrir des perspectives professionnelles pour faire taire les armes

Au lendemain du 33ème sommet de l’Union Africaine sur le thème « Faire taire les armes », nous réaffirmons le rôle de l’AUDA-NEPAD dans la prévention des conflits et le maintien de la paix par le développement économique et social.

Lors de la publication de l’Agenda 2063, nous avions fixé le silence des armes à échéance 2020. Une fois ce constat dramatique passé, il s’agit de tirer les conséquences et prendre la mesure de ce que nous devons changer ou améliorer pour garantir la paix et la sécurité pour tous les Africains, préalable indispensable au développement de notre continent.

 Notre attention est sans relâche pour ne laisser aucun espace à la prolifération des armes.  Nous devons continuer à refuser la violence, les conflits et le terrorisme. Et pour cela, les mécanismes de coopération diplomatique et de résolution de conflit doivent être privilégiés, dans la logique que nous porte « de solutions africaines aux problèmes africains ».

Lutter contre les symptômes, certes mais il nous faut aussi soigner le mal à la racine. Et pour cela, il nous faudra accélérer et amplifier le développement économique et social de l’Afrique. Les reformes engagées ont vocation à être dupliquées, multipliées, étendues sur le continent pour la satisfaction des besoins humains fondamentaux, notamment l’éducation, la santé, l’assainissement, la sécurité alimentaire, le logement, l’eau potable et l’énergie. L’UA, les CER et les États membres sont les premiers responsables de la mise en œuvre des politiques, stratégies et programmes de développement visant à intégrer le continent et à avoir un impact positif sur les moyens de subsistance et le bien-être de tous les Africains, notamment les plus jeunes.

« Nous continuerons à promouvoir la paix par la création d’emplois, par la formation initiale autant que professionnelle en milieu urbain comme en milieu rural »

Ainsi, l’AUDA-NEPAD mise sur la formation professionnelle et l’entreprenariat des femmes et des jeunes en soutenant l’intégration et l’alignement de l’EFTP (Enseignement et Formation Technique et Professionnels) dans les cadres nationaux de qualification de quinze pays, de l’Afrique du Sud à la Tunisie, en passant par le Benin et le Sierra Leone. Nous intervenons également dans le renforcement des capacités dans le secteur agricole de douze pays du PDDAA EFTPA. Le programme EFPTA (Enseignement et formation Technique et Professionnels Agricoles) pour les femmes est déjà pleinement opérationnel dans six pays.

Avec le programme Initiative compétences pour l’Afrique (SIFA), présent dans sept pays,  nous soutenons l’autonomisation et développement des compétences des jeunes.  

Des plans d’action nationaux pour l’emploi et l’entrepreneuriat des jeunes en milieu rural ont été élaborés et validés au Bénin, au Cameroun, au Malawi et au Niger.

Le programme 100 000 PME pour 1 million d’emplois vise à créer des opportunités pour 1 million de jeunes d’ici 2021. Des recommandations politiques ont été formulées pour faire pression sur les dirigeants politiques de manière à accélérer les réformes nécessaires pour améliorer l’environnement économique et promouvoir l’entreprenariat de jeunes.

Bien évidement, à l’échelle du continent, ces programmes sont nécessaires mais pas suffisants. Nous continuerons à promouvoir la paix par la création d’emplois, par la formation initiale autant que professionnelle en milieu urbain comme en milieu rural, par le développement du secteur de la santé, par la protection de la nature et la lutte contre le réchauffement climatique et ses conséquences en terme de déplacements de populations, par l’interconnexion des pays et des régions pour faciliter les échanges et ainsi l’ouverture à l’autre. Nous continuerons de construire  et reconstruire des ponts et des routes entre les peuples, là où d’autres rasent tout sur leur chemin.  

Ma sélection d’ouvrages de l’année 2019

Quand l’année s’achève, il est toujours important de se rappeler les moments forts des douze derniers mois. En tant que passionné de lecture, j’ai choisi les cinq ouvrages qui ont retenu mon attention en 2019.

1.  « Le capitalisme a-t-il un avenir ? », Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Craig Calhoun, Michael Mann, Georgi Derluguian 
Dans cet important ouvrage collectif, cinq grands intellectuels dressent un panorama de l’état du monde et débattent de leur analyse et des réponses à apporter pour réfléchir à notre époque. Il s’agit d’une analyse très pertinente des grandes tendances souvent négligées qui illustrent les limites de l’expansion du « système mondial » capitaliste. 

2.“Beating the Odds: Jump-Starting Developing Countries”, Célestin Monga et Justin Yifu Lin
Après les échecs des politiques du consensus de Washington, cet ouvrage est une illustration de la façon dont des processus de croissance économique rapide peuvent se produire dans des pays où il y a un manque de conditions préalables essentielles comme de bonnes infrastructures et institutions.

3. « The End of power », Moises Naim      
Comment la décadence du pouvoir change le monde et apporte « notre vulnérabilité accrue aux mauvaises idées et aux mauvais dirigeants ». Dans ce livre fascinant, l’auteur affirme de façon plus provocante que le pouvoir est en déclin. Il met l’accent sur la capacité de plus en plus faible des grandes organisations – ministères, entreprises, armées, églises, fondations éducatives et philanthropiques – à obtenir ce qu’elles veulent.       

4. « L’homme inutile (du bon usage de l’économie) », Pierre-Noël Giraud 
Ou comment faire bon usage de l’économie en démantelant les mécanismes de l’inutilité, qui est « la pire forme d’inégalité » car il y a de plus en plus d’hommes au chômage réduits à l’inutilité pour eux-mêmes et pour les autres. En questionnant l’économie, la mondialisation et les politiques publiques, ce professeur d’économie propose une réflexion sur l’écart croissant des revenus à l’intérieur d’un pays et les solutions pour résoudre le problème de l’inutilité qui exclut les chômeurs, les personnes précaires ou mal logées. L’auteur propose également de mesurer l’efficacité des politiques publiques dans la lutte contre l’inutilité.

5. Africapolis
Produite par le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE, Africapolis.org est la seule base de données géospatiales complète et standardisée consacrée aux villes et aux dynamiques d’urbanisation en Afrique. Elle est conçue pour permettre des analyses comparatives et à long terme des dynamiques urbaines – couvrant 7 500 agglomérations dans 50 pays. Les données d’Africapolis sont basées sur un vaste répertoire de recensements de l’habitat et de la population, de registres électoraux et d’autres sources officielles de population, dont certaines remontent au début du XXe siècle. La régularité, le niveau de détail et la fiabilité de ces sources varient d’un pays à l’autre et d’une période à l’autre.

L’approche « bottom up » du secteur privé africain fait toute la différence

Les success stories africaines dans privé se multiplient, plus inspirantes les unes que les autres. Un fait frappant explique certains succès fulgurants, qu’il s’agisse de start-ups, de sociétés de télécommunications ou de banques : une approche bottom up, qui part des réalités du terrain pour concevoir des solutions adaptées aux besoins, du plus local au plus global. Et non l’inverse, qui consiste à plaquer des biens ou services importés sans les adapter à la demande.

En effet, un objet tel que le rasoir a la même utilité partout dans le monde. Mais la façon dont il sera vendu va tout changer en Afrique, où il faut tenir compte du rythme des transactions et des échéances, qui ne sont pas nécessairement mensuelles comme en Europe. La logique est plutôt celle de la « dépense quotidienne », la fameuse « DQ »* comme on l’appelle au Sénégal. Cette DQ fait que le pouvoir d’achat s’ajuste au jour le jour à des produits vendus au détail. Voilà pourquoi un sachet de 10 rasoirs a moins de chances d’être acheté que chaque pièce à l’unité.

Dans d’autres domaines, l’ajustement au marché débouche sur des produits parfaitement innovants à l’échelle globale, comme on l’a vu avec M-Pesa, le porte-monnaie électronique qui a permis à l’opérateur de réseau mobile Kenyan d’être mondialement connu. Ce faisant, la solution inventée au Kenya a été reprise dans une grande partie du continent. Elle fait partie du quotidien des Camerounais comme des Malgaches, sans oublier les diasporas africaines qui envoient de l’argent vers leurs familles restées au pays. Comme l’indique le dernier rapport de l’Association des opérateurs GSM (GSMA) sur l’économie numérique en Afrique subsaharienne, le continent abrite près de la moitié des comptes actifs d’argent mobile dans le monde.

La micro-finance et la méso-finance permettent aux sociétés de telecommunications et aux banques de se réinventer, comme on le voit au Sénégal et au Zimbabwe, avec les exemples respectifs de Wari et Econet Wireless. La grande leçon de ces succès est qu’il ne faut pas sous-estimer le potentiel du secteur informel, un terme qui en lui-même a une connotation péjorative, alors qu’il est synonyme d’un dynamisme remarquable.

Ces initiatives participent à une intégration régionale ad hoc, qui se réalise chaque jour sur le plan économique. Une société de commerce en ligne fondée au Nigeria et qui s’est ensuite étendue à d’autres pays a fait cette année les gros titres en raison de sa cotation en bourse à New York. En amont, bien d’autres groupes privés africains font progresser les infrastructures de télécommunications. Des dizaines de milliers de kilomètres de câbles à fibre optique sont ainsi posés à travers le continent, pour relier les pays entre eux, dans une vision qui ne se soucie guère des frontières linguistiques ou culturelles, mais table sur une demande qui ne peut être qu’exponentielle.

Le taux d’accès à Internet, qui se situe à 23 % en Afrique subsaharienne en 2017 selon les chiffres de la Banque mondiale, devrait bondir à 39 % d’ici 2025 selon le rapport du GSMA. L’élargissement de cet accès ne fait pas seulement de l’Afrique une nouvelle frontière de la croissance globale. Il figure aussi parmi les Objectifs du développement durable (ODD), et nourrit bien des espoirs d’essor plus rapide grâce au digital.

Le secteur privé est actuellement le principal pourvoyeur d’emplois sur le continent. L’étendue de ces succès dans ce secteur doit être appréciée à sa juste valeur par les décideurs publics et la grande leçon à tirer du secteur privé africain, pour les responsables politiques en Afrique, tient en ces quelques mots : partir du terrain pour identifier les besoins. Il n’y a pas forcément besoin d’appeler à l’aide, mais d’envisager les actions d’une manière durable, en pensant aux générations futures. Il n’y a que du profit à en tirer, à tout point de vue.

DQ : dépenses quotidiennes

Les transferts de fonds de la diaspora, sources de financement incontournables pour l’Afrique

Les transferts de fonds de la diaspora, qu’ils soient formels ou informels, ont longtemps été sous-estimés. Pourtant, ils caractérisent une large part de la vie financière de l’Afrique. Ces flux financiers entre particuliers contribuent largement à la croissance économique des pays africains : entre 10 % et 20 % du PIB de certains pays, du Sénégal au Lesotho, grâce aux transferts d’argent qui passent par des canaux formels. Selon la Banque mondiale, les transferts d’argent vers l’Afrique subsaharienne représentent 46 milliards de dollars pour l’ensemble du continent en 2018. Cette manne est donc devenue plus importante que l’aide publique au développement.

Les bailleurs de fonds ont mis beaucoup de temps à réaliser l’importance des transferts d’argent en provenance de la diaspora africaine. Le premier rapport de référence a ainsi été publié seulement en 2010 par la Banque mondiale et la BAD. Ce dernier estimait alors que les 30 millions de ressortissants africains qui forment la diaspora, Afrique du Nord incluse, ont procédé à des transferts “formels” par des canaux bancaires classiques. (voir ci-dessous les principaux montants des transferts d’argent en Afrique)*

Autre catégorie de flux moins documentée – pourtant cruciale au quotidien -, sont les fonds qui transitent entre les pays africains, à l’image des opérateurs nigériens qui s’approvisionnent par exemple en intrants agricoles en Côte d’Ivoire, des expatriés somaliens qui subviennent aux besoins de leurs familles depuis l’Afrique du Sud, ou des constructeurs maliens qui s’approvisionnent en ciment au Sénégal. Ces échanges n’impliquent pas forcément des transferts directs. Ils reposent avant tout sur une forme d’économie « relationnelle » propre à notre continent et se fonde sur la confiance.

On constate aussi qu’une partie importante des transferts transitent par des voies informelles. En réalité, cet argent circule à travers des réseaux ingénieux, visant à contourner les réglementations sur le contrôle des changes ou les commissions prélevées sur les virements internationaux. Un simple appel téléphonique entre New York et Dakar suffit, via des banques gérées par les “Modou-Modou”, des petits commerçants appartenant à la communauté musulmane des mourides. Ces transferts dématérialisés reposent sur des réseaux de connaissances et d’intermédiaires prélevant de petites commissions : un opérateur informel au Maroc va par exemple prendre l’argent d’un sénégalais au Maroc qui souhaite le transférer chez lui, mais garder les espèces pour une transaction différente effectuée par un autre client sénégalais au Maroc.  

Les commissions sont deux fois moins élevées que les 10 % environ que facturent certains géants des transferts d’argent très actifs en Afrique et présents dans toutes les villes d’où partent les migrants, comme Louga au Sénégal ou Kayes au Mali. Le marché est immense, dès lors que 80% de la migration africaine s’effectue à l’intérieur du continent selon l’Union africaine. 

Ces agences se partagent l’essentiel d’un secteur en pleine expansion, 61 % des parts d’un marché de 4 milliards de dollars par an d’après la Banque mondiale. Un filon convoité par les banques (32 % des parts de marché), les postes (5 %), mais aussi, de plus en plus, par les opérateurs de téléphonie mobile. Certains opérateurs notamment au Kenya ont changé la donne à l’image du porte-monnaie électronique M-Pesa. La formule a fait des émules un peu partout sur le continent.

Qu’en conclure ? La balle se trouve donc dans le camp des banques et des opérateurs du secteur formel, et non celle des tontines ou des usuriers. Les banques et les opérateurs qui se sont lancés dans le mobile banking devraient être accompagnés par les États, dotés de systèmes de garantie pour les crédits aux ménages et aux PME. 

Deux pays donnent l’exemple. L’Éthiopie a lancé en 2002, un site Internet, l’Ethiopian Diaspora Directorate, qui recense pour les membres de la diaspora les opportunités d’investissement dans le pays. Très active dans leur pays d’origine, la diaspora éthiopienne a investi plus de 56 millions de dollars dans le projet de construction de l’un des plus grands barrages hydroélectriques d’Afrique, le Grand Renaissance. Le Rwanda, lui, a lancé en 2012 le fonds souverain de solidarité Agaciro, qui a rassemblé en quatre ans 51,5 millions d’euros.

De fait, les success stories financières africaines ne manquent pas. Le réseau de transfert de fonds Dahabshiil, fondé en 1970 à Dubaï par l’homme d’affaires somalien Abdirashid Duale, a pris les dimensions d’une multinationale… Il compte plus de 2 000 employés dans 144 pays, qui ont l’avantage de recevoir des salaires déclarés, avec des fiches de paie. Un bon moyen de sortir du secteur informel, tout en tirant parti de l’apport colossal des émigrés, qu’ils soient sur le continent ou ailleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Source : The Global Knowledge Partnership on Migration and Development, 2019

Statistiques, industrialisation et révolution agricole, 3 défis pour le continent : une lecture de l’Afrique en transformation de Carlos Lopes

L’Afrique et le défi statistique
L’Afrique doit investir dans la production de données de meilleure qualité, car l’absence de systèmes statistiques fiables et indépendants peut compromettre aussi bien le diagnostic que la prévision. Nombre d’analyses sont faussées par l’absence de statistiques fiables. Ainsi, dans de nombreux pays, le Produit intérieur brut serait sous-estimé, avance Carlos Lopes. Mais si l’on mesure mal la richesse, comment mettre en place les politiques fiscales appropriées ? La capacité contributive de l’Afrique est sans doute minorée. Un effort d’imposition de 1% supplémentaire, qui peut sembler marginal, rapporterait pourtant davantage que la totalité de l’aide au développement des pays industrialisés ! Nous le répétons volontiers, mais ce point est essentiel : le renforcement des capacités statistiques de l’Afrique doit être une priorité, tant pour les pays pris séparément que pour l’Union Africaine et les organes qui y sont rattachés. Ce fut un des points clés de la stratégie de Carlos Lopes quand il était à la tête de la CEA.

L’Afrique et le défi de l’industrialisation
Le livre de Carlos Lopes alimentera la réflexion sur le modèle de développement que doit emprunter l’Afrique pour créer les conditions d’une transformation structurelle de son économie. Car, en dépit d’une résilience remarquable observée depuis la crise financière de 2008, en dépit de taux croissance moyens parmi les plus élevés de la planète ces dix dernières années, le Continent n’a pas réussi à créer suffisamment d’emplois ni même à endiguer l’extrême pauvreté. Le dynamisme de ses marchés intérieurs, la bonne tenue de ses exportations et l’augmentation significative des flux d’investissements ne compensent pas l’absence de véritables politiques industrielles.
Les exemples du Brésil de la période 1950-1980, de la Chine qui, après sa révolution agricole, s’est transformée en usine du monde, et, plus récemment, de la Malaisie ou des Émirats Arabes Unis montrent que l’émergence est inséparable du processus d’industrialisation. Le constat que dresse Carlos Lopes est préoccupant : la part de l’Afrique dans la production industrielle mondiale a régressé d’un quart entre 1980 et 2010, passant de 1,9% à 1,5%. L’auteur plaide pour un protectionnisme intelligent, inspiré des politiques mises en place dans les pays devenus émergents, et pour une approche volontariste des pouvoirs publics à ce sujet. L’échec des tentatives d’industrialisation menées dans les années 1960 et 1970 ne doivent plus servir d’excuse à l’inertie car les contextes et les objectifs ont radicalement muté.

L’Afrique et le défi de la productivité agricole
Il est urgent de changer notre regard sur l’agriculture et de reconnaître que « l’agriculteur est un entrepreneur comme un autre », pour reprendre la formule que j’employais dans mon livre L’Afrique à l’heure des choix (Armand Colin, 2017). C’est aussi l’idée martelée avec force par Carlos Lopes qui souligne que les défis de l’industrialisation et de la modernisation du secteur agricole sont intimement liés. Certes, la plupart des pays du continent ont doublé leur taux moyen de transformation après le lancement du PDDAA, en 2003, et l’augmentation de la productivité agricole a atteint 67% en moyenne, mais ce taux masque d’énormes disparités. Les progrès restent insuffisants, même si l’Égypte, la Côte d’Ivoire, le Nigeria ou le Ghana ont accompli des performances remarquables. Le rendement moyen des cultures céréalières en Afrique ne représente que 40% du rendement mondial moyen. L’agriculture de subsistance sur de petites parcelles, caractérisée par une très faible productivité, reste le mode de production dominant (80%). Il ne permet pas de dégager des surplus. Marginalisés, les exploitants ont peu accès aux financements et ne parviennent pas à s’intégrer dans la chaîne de valeur.
Un changement de paradigme est pourtant indispensable. L’agriculture africaine va devoir accompagner la croissance démographique exponentielle et l’urbanisation rapide du continent : dès 2020, 50% des Africains vivront en ville. La révolution de l’agro-business ne saurait être différée plus longtemps et les leaders de cette révolution doivent être ceux qui sont appelés les « petits producteurs ».

Quelques conseils aux boursiers Tutu…

Le 29 avril, je me suis rendu à Stellenbosch, dans la province du Cap-Occidental, en Afrique du Sud, pour échanger avec les boursiers Desmond Tutu 2019. Mon ouvrage, l’Afrique à l’heure des choix, a suscité une discussion passionnante et j’ai encouragé les boursiers à essayer, avec diligence, d’allier les solutions techniques aux solutions politiques dans tout ce qu’ils entreprennent. J’ai mis en avant les exemples suivants pour illustrer ce point : si les boursiers, travaillent dans l’agriculture, leur objectif pourrait renforcer une association d’agriculteurs, ou s’ils travaillent dans le domaine de la santé, cela pourrait aider une communauté en matière nutrition.

J’ai également exhorté les boursiers à se créer des réseaux au-delà de leurs domaines actuels, car cela leur permettra de créer des synergies et d’avoir un plus grand impact dans la société. J’ai également encouragé les jeunes dirigeants en affirmant que les changements progressifs apportés à court et à moyen terme contribueront à la réalisation des objectifs à long terme et susciteront ainsi une transformation.

J’ai conclu en disant que la valeur de toute démocratie réside dans ses valeurs inhérentes de dignité, de liberté et d’égalité, qui sont essentielles pour un système démocratique afin d’éviter le développement de conflits.

Education is the only weapon to prepare Africa for the challenge of youth employment

After the successive launches of the Skills Initiative for Africa (SIFA) project in Lomé, Accra and Johannesburg in recent weeks, it seemed important to me to comment on the topic of policies to develop youth employment. Indeed, the SIFA project aims to finance skills development projects in several African countries. 

Because while demographic dynamism represents a great opportunity, it is also a huge challenge, as 440 million young Africans will come to working age in the next fifteen years. High unemployment rates and skills shortages are among the most pressing challenges facing Africa. There is therefore an urgent need to promote industries and economic activities that contribute to new job creations. 

To achieve this, I believe it is crucial to implement new education and training programmes to equip young – and even older – people with the skills they need to live and work in the current context of transition to the digital economy. This transition will affect all sectors, including agriculture. Indeed, more and more farmers will be connected, and access to information will be essential for their success. Similarly, climate-smart agriculture will be based on an increasingly intensive use of new technologies. Let us not forget that the agricultural sector in Africa still employs 60 to 70% of the working population. 

It is also essential to adapt the education system to economic realities: for example, in 2013, 75% of baccalaureate graduates specialized in literature, compared to 25% in science, when we know that the human sciences have little relevance to the economic sectors that hire in Africa. National education plans must therefore be properly adapted to national development priorities. 

We must also disseminate the culture of e-learning in all our technical and vocational education and training (TVET) institutions and promote these institutions as true learning paths. We also need to train teachers so that they can teach the digital skills of the 21st century before they are overtaken by the upheavals associated with the advent of the 4th Industrial Revolution. 

To achieve these objectives, our states will need to invest more in education, by partnering with the private sector, development partners and universities, in order to strengthen curriculum standardization in our learning centres at the higher education level and in technical and vocational education and training. 

It is very important to define clear training strategies adapted to the continent’s development needs, also at the regional level. The continental approach we propose provides a platform to facilitate the implementation of African-wide frameworks and to enable this sharing of experience. Education is our only weapon to prepare for the challenge of youth employment.

L’éducation, seule arme pour préparer l’Afrique au défi de l’emploi des jeunes

Après les lancements successifs du projet Skills Initiative for Africa (SIFA) à Lomé, Accra et Johannesburg ces dernières semaines, il me semblait important de prendre la parole sur le sujet des politiques de développement de l’emploi chez les jeunes. En effet, le projet SIFA a pour objectif de financer des projets de développement des compétences dans plusieurs pays africains. 

Car si le dynamisme démographique représente une grande opportunité, il est aussi un immense défi au moment où 440 millions de jeunes Africains seront en âge de travailler dans les quinze prochaines années. Les taux élevés de chômage et le déficit de compétences font partie des défis les plus pressants auxquels l’Afrique est confrontée. Il est donc urgent de promouvoir les industries et les activités économiques qui contribuent à créer de nouveaux emplois. 

Pour y parvenir, il me paraît essentiel de mettre en œuvre de nouveaux programmes d’éducation et de formation afin de doter les jeunes – et même les moins jeunes – des compétences nécessaires pour vivre et travailler dans le contexte actuel de transition vers l’économie numérique. Cette transition vers le numérique va concerner tous les secteurs, y compris l’agriculture. En effet, de plus en plus nombreux seront les agriculteurs connectés, pour qui l’accès à l’information sera essentiel. De même, l’agriculture intelligente face au climat va reposer sur un usage de plus en plus intensif des nouvelles technologies. N’oublions pas que le secteur agricole emploie en Afrique 60 à 70% de la population active. 

Il est également crucial d’adapter le système éducatif aux réalités économiques : par exemple, en 2013, 75% des bacheliers se sont spécialisés en littérature, contre 25% en science, quand on sait que les sciences humaines correspondent peu aux secteurs économiques qui embauchent en Afrique. Il convient donc de bien adapter les plans nationaux d’éducation en fonction des priorités nationales de développement. 

Nous devons en outre diffuser la culture de l’apprentissage en ligne dans tous nos établissements d’enseignement et de formation techniques et professionnels (EFTP) et promouvoir ces établissements en tant que véritables filières d’apprentissage. Nous devons aussi former les enseignants afin qu’ils puissent enseigner les compétences numériques du XXIe siècle avant d’être dépassés par les bouleversements liés à l’avènement de la 4e Révolution industrielle. 

Pour atteindre ces objectifs, nos États devront investir davantage dans l’éducation, en partenariat avec le secteur privé, les partenaires au développement et les universités afin de renforcer la standardisation des programmes dans nos centres d’apprentissage au niveau de l’enseignement supérieur et dans l’enseignement technique et professionnel. 

Il importe de définir des stratégies de formation claires et adaptées aux besoins de développement du continent, au niveau régional également. L’approche continentale que nous proposons fournit une plate-forme pour faciliter la mise en œuvre de cadres à l’échelle de l’Afrique et pour permettre ce partage d’expérience. In fine, l’éducation est notre seule arme pour nous préparer au défi de l’emploi des jeunes. 

Cette expertise africaine qui fait toute la différence

Les investisseurs internationaux n’ont jamais autant misé sur les jeunes pousses africaines. Selon le rapport annuel du fonds de capital-risque Partech Africa paru fin mars, les investissements étrangers dans les startup africaines ont doublé en 2018 (+102% par rapport à 2017) pour dépasser la barrière symbolique du milliard de dollars pour la première fois. C’est dans cette dynamique que nous avons récompensé des jeunes champions africains pour leur contribution à la réalisation des objectifs de l’Agenda 2063, à l’occasion d’une rencontre organisée par l’AUDA-NEPAD les 9 et 10 avril à Johannesburg.

Par exemple, il y avait parmi ces talentueux entrepreneurs, Silas Adekunle, jeune Nigérian de 27 ans, fondateur de Reach Robotics, qui incarne cette nouvelle génération d’entrepreneurs. Il a mis au point le premier robot intelligent qui permet de combiner les mondes réel et virtuel à partir d’une application pour smartphone. Cette invention trouve de multiples applications, non seulement sur le plan ludique, une industrie en plein essor, ou pour apprendre à coder et acquérir des compétences informatiques. Il a noué des partenariats avec des entreprises aussi prestigieuses qu’Apple et Amazon. Son exemple témoigne que l’Afrique regorge d’un impressionnant vivier de créateurs. Pour qu’ils puissent se développer encore davantage, nous devons fondamentalement encourager ces solutions africaines.

Plus largement, plusieurs initiatives viennent rompre avec les idées reçues sur l’Afrique. À titre d’exemple, nous pouvons citer : M-Pesa, le système de transfert d’argent par téléphone mobile et véritable pilier de l’économie kényane ou encore le logiciel Ushahidi, créé en 2007 au Kenya afin de cartographier les violences politiques, et utilisé aujourd’hui dans le reste du monde pour identifier les victimes de catastrophes naturelles.

L’essor, depuis les années 2000, de formations d’excellence sur le continent s’avère non moins central. Nelson Mandela en a été l’un des pionniers, en parrainant en 2002 une initiative du Rhodes Trust. Ce fonds a alors donné 10 millions de livres sterling à la Fondation Mandela Rhodes, qui sélectionne chaque année depuis 2005 une vingtaine d’étudiants entièrement pris en charge pour suivre un programme d’exception d’une année, axé sur le leadership, l’entrepreneuriat, la réconciliation et l’éducation.

Cette expertise africaine se trouve également au sein des think tanks africains. En effet, comme chaque année, le Tana Forum, organisé par l’Institute for Peace and Security Studies (IPSS) de l’Université d’Addis-Abeba, aborde sans complaisance les questions de sécurité. Citons aussi l’exemple du Nigerian Economic Summit Group, un groupe de réflexion qui investit essentiellement dans la recherche de solutions efficaces, y compris en aidant l’Assemblée nationale à élaborer les lois du pays.

De son côté, l’African Leadership University (ALU), lancée en 2004 par quatre professionnels renommés, dont le consultant ghanéen Fred Swaniker, qui dispense des cours de « pensée critique », « d’auto-leadership » ou de « données numériques et décisions ». Cette université vise à créer un réseau de 25 campus à travers le continent, et s’est déjà implantée à Maurice et au Rwanda. Emblématique d’une Afrique proactive, l’ALU veut devenir « la » référence africaine, à l’instar d’Harvard ou Oxford pour l’Amérique ou l’Europe. L’ALU a pour ambition de devenir « la » référence africaine, à l’instar des universités prestigieuses de l’Amérique ou de l’Europe.

En tant qu’Agence de développement de l’Union africaine, notre devoir est de soutenir ces projets de plus en plus ambitieux et innovants. Ce sont eux qui vont permettre d’offrir de meilleures conditions de vie aux jeunes diplômés Africains qui arrivent sur le marché du travail à un rythme jamais égalé dans notre histoire.