L’Afrique unie face à la pandémie

L’Union africaine n’a jamais aussi bien porté son nom.  La pandémie est là, chaque jour de nouveaux cas. Notre continent, jusque-là épargné, voit le nombre de personnes contaminées bondir. La question n’est plus de savoir si nous sommes prêts à l’affronter, mais de faire front, ensemble, face à ce virus qui ne connaît ni frontière ni ethnie.

Solidarité du corps médical
À peine le premier cas de Covid-19 déclaré et l’Union africaine réunît les ministres de la Santé le 22 février pour élaborer une stratégie à l’échelle continentale et créer un groupe de travail, l’Africa Coronavirus Task Force (AFCOR), comprenant six équipes techniques travaillant en étroite collaboration avec les États membres, l’OMS et Africa CDC (Center for Disease Control). L’institution technique de l’UA, née pour soutenir les initiatives de santé publique, est en première ligne dans cette course contre la montre.  Début février, seuls le Sénégal et l’Afrique du Sud étaient en mesure de dépister des cas. Le CDC africain a soutenu les 55 États membres dans le renforcement des capacités au niveau national en formant sur des priorités clés telles que la surveillance des maladies au point d’entrée, la surveillance événementielle dans les établissements de santé communautaire et les diagnostics en laboratoire.

Grâce au partenariat instauré entre le CDC et l’OMS, 43 pays en sont désormais capables. Preuve s’il en est qu’une stratégie coordonnée porte ses fruits. L’Africa CDC a ciblé 3 pays où les risques de propagation du virus sont très élevés : le Nigeria, le Cameroun et le Kenya. L’institution a estimé pour le moment 850 000 dollars la somme nécessaire au renforcement des capacités de réponse au Covid-19 dans ces pays. Cette somme, même modeste, permettra d’une part de former et renforcer les capacités de diagnostics en laboratoire et d’autre part, de soutenir les pays ciblés dans l’acquisition d’outils statistiques autant que de techniques performantes de surveillance de la maladie. Certes, nous n’avons pas les moyens des pays développés, pourtant dépassés par l’ampleur de la catastrophe. Notre salut est à trouver dans notre capacité à prévenir et à isoler les foyers de contamination. Pour cela, nous devons ensemble trouver nos solutions en mobilisant nos ressources internes.

Solidarité économique
Pour soutenir cet effort de guerre, toutes les institutions financières panafricaines sont mises à contribution. D’ores et déjà, la BOAD, la Banque ouest-africaine de développement a débloqué 120 milliards de francs CFA sous forme de prêts de 15 milliards de francs CFA (23 millions d’euros) à chacun de ses huit États membres. La banque s’engage à geler une partie de la dette de ces pays estimées à 76,6 milliards de F CFA.

La Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEAT) a réservé pour sa part une enveloppe de 100 millions de dollars pour soutenir les efforts des pays de l’Afrique subsaharienne en matière de prévention et de limitation de la propagation de la pandémie. La Banque africaine d’import-export (Afreximbank) a annoncé une facilité de 3 milliards de dollars, appelée faciliter d’atténuation de l’impact du commerce pandémique, pour aider les banques centrales des pays africains à faire face aux impacts économiques, notamment les défauts de paiements commerciaux de la pandémie de Covid-19. Ce fonds sera également disponible pour soutenir et stabiliser les ressources en devises des banques centrales des pays membres, leur permettant de soutenir les importations critiques dans des conditions d’urgence.

Solidarité militaire
Nous gardons en tête notre objectif inscrit dans l’Agenda 2063 : faire taire les armes. Pour préparer la paix, il faut parfois préparer la guerre. À cet effet, une réunion conjointe UA-CEDEAO-G5 Sahel sur le déploiement des forces africaines de 3000 militaires au Sahel s’est tenue le 16 mars à Niamey au Niger. L’UA va déployer des troupes supplémentaires, 3 000 militaires, pour appuyer les efforts des pays du G5 Sahel. L’armée tchadienne a encore dû essuyer seule des attaques meurtrières et quasi simultanées perpétrées par Boko Haram contre ses positions à Boma dans le lac Tchad et un convoi de l’armée nigériane à Konduga dans l’État du Borno.

Nous espérons que sera entendu l’appel d’urgence lancé à l’Afrique et à la communauté internationale par le Président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, pour une solidarité opérationnelle dans la lutte contre le terrorisme.

Cette pandémie mondiale doit nous rappeler l’essence même de nos institutions, la raison d’être de l’AUDA-NEPAD : la mise en commun de nos forces pour dépasser l’adversité, pour notre survie. Notre sens de la solidarité familiale et communautaire n’est plus à démontrer. En portant et supportant nos parents, nos familles, nos voisins, nos alliés, nous faisons comme nos ancêtres, protéger les humains. Aussi en ces temps contrariés, montrons-nous exemplaires et continuons à faire vivre en nous cette solidarité, notre plus noble héritage.

Ouvrir des perspectives professionnelles pour faire taire les armes

Au lendemain du 33ème sommet de l’Union Africaine sur le thème « Faire taire les armes », nous réaffirmons le rôle de l’AUDA-NEPAD dans la prévention des conflits et le maintien de la paix par le développement économique et social.

Lors de la publication de l’Agenda 2063, nous avions fixé le silence des armes à échéance 2020. Une fois ce constat dramatique passé, il s’agit de tirer les conséquences et prendre la mesure de ce que nous devons changer ou améliorer pour garantir la paix et la sécurité pour tous les Africains, préalable indispensable au développement de notre continent.

 Notre attention est sans relâche pour ne laisser aucun espace à la prolifération des armes.  Nous devons continuer à refuser la violence, les conflits et le terrorisme. Et pour cela, les mécanismes de coopération diplomatique et de résolution de conflit doivent être privilégiés, dans la logique que nous porte « de solutions africaines aux problèmes africains ».

Lutter contre les symptômes, certes mais il nous faut aussi soigner le mal à la racine. Et pour cela, il nous faudra accélérer et amplifier le développement économique et social de l’Afrique. Les reformes engagées ont vocation à être dupliquées, multipliées, étendues sur le continent pour la satisfaction des besoins humains fondamentaux, notamment l’éducation, la santé, l’assainissement, la sécurité alimentaire, le logement, l’eau potable et l’énergie. L’UA, les CER et les États membres sont les premiers responsables de la mise en œuvre des politiques, stratégies et programmes de développement visant à intégrer le continent et à avoir un impact positif sur les moyens de subsistance et le bien-être de tous les Africains, notamment les plus jeunes.

« Nous continuerons à promouvoir la paix par la création d’emplois, par la formation initiale autant que professionnelle en milieu urbain comme en milieu rural »

Ainsi, l’AUDA-NEPAD mise sur la formation professionnelle et l’entreprenariat des femmes et des jeunes en soutenant l’intégration et l’alignement de l’EFTP (Enseignement et Formation Technique et Professionnels) dans les cadres nationaux de qualification de quinze pays, de l’Afrique du Sud à la Tunisie, en passant par le Benin et le Sierra Leone. Nous intervenons également dans le renforcement des capacités dans le secteur agricole de douze pays du PDDAA EFTPA. Le programme EFPTA (Enseignement et formation Technique et Professionnels Agricoles) pour les femmes est déjà pleinement opérationnel dans six pays.

Avec le programme Initiative compétences pour l’Afrique (SIFA), présent dans sept pays,  nous soutenons l’autonomisation et développement des compétences des jeunes.  

Des plans d’action nationaux pour l’emploi et l’entrepreneuriat des jeunes en milieu rural ont été élaborés et validés au Bénin, au Cameroun, au Malawi et au Niger.

Le programme 100 000 PME pour 1 million d’emplois vise à créer des opportunités pour 1 million de jeunes d’ici 2021. Des recommandations politiques ont été formulées pour faire pression sur les dirigeants politiques de manière à accélérer les réformes nécessaires pour améliorer l’environnement économique et promouvoir l’entreprenariat de jeunes.

Bien évidement, à l’échelle du continent, ces programmes sont nécessaires mais pas suffisants. Nous continuerons à promouvoir la paix par la création d’emplois, par la formation initiale autant que professionnelle en milieu urbain comme en milieu rural, par le développement du secteur de la santé, par la protection de la nature et la lutte contre le réchauffement climatique et ses conséquences en terme de déplacements de populations, par l’interconnexion des pays et des régions pour faciliter les échanges et ainsi l’ouverture à l’autre. Nous continuerons de construire  et reconstruire des ponts et des routes entre les peuples, là où d’autres rasent tout sur leur chemin.  

Pourquoi la structuration des grands projets d’infrastructures en Afrique est-elle une priorité ?

Financer l’amont des projets, bâtir des partenariats entre les opérateurs publics et privés,
l’AUDA-NEPAD accélère ses efforts pour faire progresser le développement du continent.

Depuis le Sommet de Dakar sur le financement en juin 2014 et l’appel du président Macky Sall pour faire avancer les projets à fort impact à travers le continent, notamment ceux de corridors intégrés à dimension régionale, des projets nationaux et transnationaux ambitieux sont présentés chaque année. Les derniers chiffres publiés par le Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA) en 2018, le niveau des engagements en matière d’infrastructures africaines a dépassé pour la première fois, les 100 milliards de dollars pour atteindre 100,8 milliards de dollars, en augmentation de 24% par rapport à 2017. Les gouvernements africains ont été la principale source de financement des infrastructures, avec 37,5 milliards de dollars (37% du total des engagements), suivis par la Chine, qui a engagé 25,7 milliards de dollars (25%). Pour sa part, le secteur privé n’a participé qu’à hauteur de 11,8 millions de dollars soit 12% de l’ensemble. Étant donné le potentiel élevé d’investissement du secteur privé dans le domaine des génisses, nous devons concentrer nos efforts sur la structuration de l’infrastructure pour répondre aux besoins d’investissement.

Le temps nécessaire à l’élaboration et à la structuration des projets d’infrastructure est long, dans le meilleur des cas, il faut généralement compter entre 3 et 7 ans avant de les clôturer sur le plan financier. De plus, selon un rapport du Forum Okan / CEO Forum, 83% des partenariats public-privé africains sont abandonnés, non pas par manque de financement, mais parce qu’ils sont mal conçus ou non commercialement viables. Les coûts de développement des projets d’infrastructure de grande envergure en PPP peuvent représenter de 5 à 10 % de l’investissement total du projet.

Pour éviter ces pertes de temps et d’argent, l’AUDA-NEPAD et ses partenaires ont développé une série d’outils pour soutenir la préparation et le financement en amont des projets d’infrastructures régionales et nationales de l’Afrique afin de permettre une définition et une structuration plus efficaces, adaptées aux besoins des investisseurs. Des mécanismes de financement connexes sont nécessaires pour couvrir les coûts de développement des projets, y compris la gestion des projets, les conseils en matière de transactions, les études techniques (préfaisabilité, ingénierie, faisabilité, développement socioéconomique, environnement), les plans d’affaires, les modèles financiers, etc.

Le niveau élevé des défis techniques, de la complexité des environnements différents à la nature transnationale de certains projets d’infrastructure – comme le projet de transmission 330 KV du Noyau de Niort traversant quatre pays (Nigeria, Niger, Bénin, Burkina Faso) – nécessite un très haut niveau d’expertise et la mobilisation de nombreux opérateurs internationaux, entraînant ainsi des coûts supplémentaires.

Grâce à des mécanismes d’assistance technique spécifiques, tels que le SDM (Service Delivery Mechanism), les études préparatoires pour la construction du tronçon de 1 000 km entre Abidjan et Lagos ont mobilisé un cofinancement de 22,7 millions $US de la BAD et de l’Union européenne. Une équipe d’experts a travaillé pendant 18 mois pendant la phase préparatoire à Lagos pour permettre la mise en place du corridor Abidjan-Lagos. Ce projet a conduit, au sein de la CEDEAO, à la signature d’un traité multilatéral entre les chefs d’État et de gouvernement du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Nigeria et du Togo, créant une autorité supranationale, l’Autorité de gestion du corridor Abidjan-Lagos (ALCoMA), une première africaine. L’ALCoMA facilitera la gestion et la coordination de l’ensemble du cycle du projet, de la préparation à la construction, y compris l’exploitation et la maintenance.

Le mégaprojet LAPSSET en Afrique de l’Est, dont le coût total est estimé à 25 milliards de dollars, est un exemple d’initiative gouvernementale importante visant à établir des partenariats transnationaux entre les institutions publiques et privées, dans la même logique d’intégration et d’inclusion. Parmi les projets en cours de réalisation, on peut citer le port de Lamu au Kenya, une ligne de chemin de fer à écartement normal reliant Djouba au Sud-Soudan et Addis-Abeba en Éthiopie, la construction d’un large réseau routier, deux oléoducs au Sud-Soudan et en Éthiopie, une raffinerie de pétrole à Bargoni au Kenya, trois aéroports, etc. Cette série ambitieuse de projets implique un échantillon représentatif d’investisseurs nationaux et internationaux, tant en dette qu’en fonds propres.

Afin de faciliter et d’approfondir le dialogue public-privé nécessaire pour lever l’un des principaux obstacles au développement des infrastructures sur le continent – l’absence de prise en compte des contraintes du secteur privé dans la mise en œuvre des grands projets – le Réseau commercial continental (CBN) a été lancé en marge du Forum économique mondial au Cap, Afrique du Sud, en juin 2015. Les dirigeants du secteur privé sont systématiquement invités à partager leurs conseils et leurs capacités en ordonnance pour faire avancer les projets d’infrastructures critiques conseillés par l’AUDA-NEPAD.

Il est essentiel que nous travaillions activement afin de combler nos lacunes en matière d’infrastructures – en abordant la question plus large des approches intégrées du développement des infrastructures tout en établissant des partenariats avec les principales parties prenantes : le secteur privé, les investisseurs institutionnels, les gouvernements africains et les partenaires de développement volontaristes.

Nous devons nous engager ensemble dans le cadre de collaborations entre les secteurs public et privé afin de poursuivre le développement d’initiatives telles que l’Agenda de 5 % pour mobiliser les fonds des fonds de pension africains et le Mécanisme de garantie pour les infrastructures en Afrique afin d’élargir les garanties, créant les conditions favorables nécessaires pour attirer davantage de capitaux privés vers les infrastructures africaines.

Il faut une discrimination positive en faveur des grands groupes africains

Jeune Afrique : Que va changer concrètement la transformation du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique en agence de développement  de l’UA (AUDA) ?

Ibrahim Assane Mayaki : Désormais, l’agence a une autonomie d’exécution et une liberté de mobilisation de ressources, par exemple avec des services de conseil aux États et aux organisations régionales. Ainsi, la Commission de l’Union africaine est délestée de certaines tâches d’exécution de politique de développement et pourra se concentrer sur l’orientation politique, la gouvernance, la paix, la sécurité…

 

Lire la suite de l’interview sur le site de Jeune Afrique.

Les transferts de fonds de la diaspora, sources de financement incontournables pour l’Afrique

Les transferts de fonds de la diaspora, qu’ils soient formels ou informels, ont longtemps été sous-estimés. Pourtant, ils caractérisent une large part de la vie financière de l’Afrique. Ces flux financiers entre particuliers contribuent largement à la croissance économique des pays africains : entre 10 % et 20 % du PIB de certains pays, du Sénégal au Lesotho, grâce aux transferts d’argent qui passent par des canaux formels. Selon la Banque mondiale, les transferts d’argent vers l’Afrique subsaharienne représentent 46 milliards de dollars pour l’ensemble du continent en 2018. Cette manne est donc devenue plus importante que l’aide publique au développement.

Les bailleurs de fonds ont mis beaucoup de temps à réaliser l’importance des transferts d’argent en provenance de la diaspora africaine. Le premier rapport de référence a ainsi été publié seulement en 2010 par la Banque mondiale et la BAD. Ce dernier estimait alors que les 30 millions de ressortissants africains qui forment la diaspora, Afrique du Nord incluse, ont procédé à des transferts “formels” par des canaux bancaires classiques. (voir ci-dessous les principaux montants des transferts d’argent en Afrique)*

Autre catégorie de flux moins documentée – pourtant cruciale au quotidien -, sont les fonds qui transitent entre les pays africains, à l’image des opérateurs nigériens qui s’approvisionnent par exemple en intrants agricoles en Côte d’Ivoire, des expatriés somaliens qui subviennent aux besoins de leurs familles depuis l’Afrique du Sud, ou des constructeurs maliens qui s’approvisionnent en ciment au Sénégal. Ces échanges n’impliquent pas forcément des transferts directs. Ils reposent avant tout sur une forme d’économie « relationnelle » propre à notre continent et se fonde sur la confiance.

On constate aussi qu’une partie importante des transferts transitent par des voies informelles. En réalité, cet argent circule à travers des réseaux ingénieux, visant à contourner les réglementations sur le contrôle des changes ou les commissions prélevées sur les virements internationaux. Un simple appel téléphonique entre New York et Dakar suffit, via des banques gérées par les “Modou-Modou”, des petits commerçants appartenant à la communauté musulmane des mourides. Ces transferts dématérialisés reposent sur des réseaux de connaissances et d’intermédiaires prélevant de petites commissions : un opérateur informel au Maroc va par exemple prendre l’argent d’un sénégalais au Maroc qui souhaite le transférer chez lui, mais garder les espèces pour une transaction différente effectuée par un autre client sénégalais au Maroc.  

Les commissions sont deux fois moins élevées que les 10 % environ que facturent certains géants des transferts d’argent très actifs en Afrique et présents dans toutes les villes d’où partent les migrants, comme Louga au Sénégal ou Kayes au Mali. Le marché est immense, dès lors que 80% de la migration africaine s’effectue à l’intérieur du continent selon l’Union africaine. 

Ces agences se partagent l’essentiel d’un secteur en pleine expansion, 61 % des parts d’un marché de 4 milliards de dollars par an d’après la Banque mondiale. Un filon convoité par les banques (32 % des parts de marché), les postes (5 %), mais aussi, de plus en plus, par les opérateurs de téléphonie mobile. Certains opérateurs notamment au Kenya ont changé la donne à l’image du porte-monnaie électronique M-Pesa. La formule a fait des émules un peu partout sur le continent.

Qu’en conclure ? La balle se trouve donc dans le camp des banques et des opérateurs du secteur formel, et non celle des tontines ou des usuriers. Les banques et les opérateurs qui se sont lancés dans le mobile banking devraient être accompagnés par les États, dotés de systèmes de garantie pour les crédits aux ménages et aux PME. 

Deux pays donnent l’exemple. L’Éthiopie a lancé en 2002, un site Internet, l’Ethiopian Diaspora Directorate, qui recense pour les membres de la diaspora les opportunités d’investissement dans le pays. Très active dans leur pays d’origine, la diaspora éthiopienne a investi plus de 56 millions de dollars dans le projet de construction de l’un des plus grands barrages hydroélectriques d’Afrique, le Grand Renaissance. Le Rwanda, lui, a lancé en 2012 le fonds souverain de solidarité Agaciro, qui a rassemblé en quatre ans 51,5 millions d’euros.

De fait, les success stories financières africaines ne manquent pas. Le réseau de transfert de fonds Dahabshiil, fondé en 1970 à Dubaï par l’homme d’affaires somalien Abdirashid Duale, a pris les dimensions d’une multinationale… Il compte plus de 2 000 employés dans 144 pays, qui ont l’avantage de recevoir des salaires déclarés, avec des fiches de paie. Un bon moyen de sortir du secteur informel, tout en tirant parti de l’apport colossal des émigrés, qu’ils soient sur le continent ou ailleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Source : The Global Knowledge Partnership on Migration and Development, 2019

Journée mondiale de l’Afrique : vers des solutions durables aux déplacements forcés

La Journée de mondiale de l’Afrique nous permet, en tant qu’Africains, de célébrer la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) le 25 mai 1963. Une date qui marque une étape importante dans l’histoire de notre continent, une étape où les fondateurs ont signalé au monde que les Africains étaient prêts à travailler ensemble. La solidarité panafricaine est la clé de notre avenir. 

Kwame Nkrumah, l’un des leaders à l’origine de la création de l’OUA, disait : “Les forces qui nous unissent sont intrinsèques et supérieures aux influences superficielles qui nous séparent”. C’est encore le cas aujourd’hui dans le cadre de l’Union africaine où l’accent est mis non seulement sur les défis politiques, mais aussi sur les défis économiques et le développement, ainsi que sur la création d’opportunités actuelles et futures pour la jeunesse africaine. 

Les personnes déplacées, sujet majeur pour l’Afrique, font l’objet d’une discussion permanente entre les responsables africains et la communauté internationale, en quête de solutions adaptées, transfrontalières et transversales. Cette responsabilité sociétale de premier plan voit aussi les gouvernements africains s’emparer de la question, pour en discuter avec d’autres partenaires du secteur privé et de la société civile à l’intérieur de leurs frontières. 

Priorité de l’Union africaine pour 2019, les réfugiés et les personnes déplacées ont été au coeur des African Dialogue Series (ADS) 2019, du 21 au 23 mai à New York, organisés par le Bureau du conseiller spécial sur l’Afrique (OSAA), en collaboration avec la Commission de l’UA (CUA) et en présence de nombreuses grandes agences des Nations unies.  Ce sujet est tombé à point nommé, juste avant la célébration de la Journée mondiale de l’Afrique, le 25 mai à New York, par la mission permanente de l’UA auprès des Nations unies. 

Les chiffres montrent que l’Afrique subsaharienne abrite près de la moitié des 11,8 millions de nouvelles personnes déplacées dans le monde à cause des conflits pour la seule année 2017, selon l’International Displacement Monitoring Center (IDCM). Le pays le plus touché est la République démocratique du Congo, avec 2,2 millions de nouveaux déplacements en 2017, sur un total de 4,5 millions de personnes déplacées. Viennent ensuite le Soudan du Sud, l’Éthiopie et la République centrafricaine. Du bassin du Lac Tchad à la Somalie, les conflits sont le plus souvent en cause, de même que la sécheresse et les catastrophes naturelles. On oublie trop souvent que ces phénomènes naturels causent de nombreux déplacements de personnes (2,6 millions de personnes en 2017). 

Cette question complexe interpelle en premier lieu les pays signataires, en 2009, de la Convention de Kampala sur la protection des personnes déplacées. L’Afrique s’est engagée à apporter des réponses, puisque les personnes déplacées relèvent des autorités de leur pays. À New York, un diagnostic très simple a été posé, portant sur la bonne gouvernance. Celle-ci se trouve au cœur des solutions, d’abord et avant tout pour assurer la dignité des citoyens, qui doivent avoir la maîtrise de leur propre destinée. Les bonnes pratiques ont par ailleurs été évoquées, avec l’exemple du Niger, premier pays africain à adopter en 2018 une loi nationale sur la protection et l’assistance des personnes déplacées.

C’est une bonne chose que la célébration de la Journée mondiale de l’Afrique nous permette de réfléchir à la meilleure façon pour le continent et ses partenaires d’assumer leurs responsabilités. C’est pourquoi, en tant qu’Agence de développement de l’Union africaine – NEPAD, nous voudrions transmettre nos meilleurs vœux à tous les Africains partout sur Terre. Ensemble, nous gagnerons ce combat et réaliserons « l’Afrique que nous voulons ».

Statistiques, industrialisation et révolution agricole, 3 défis pour le continent : une lecture de l’Afrique en transformation de Carlos Lopes

L’Afrique et le défi statistique
L’Afrique doit investir dans la production de données de meilleure qualité, car l’absence de systèmes statistiques fiables et indépendants peut compromettre aussi bien le diagnostic que la prévision. Nombre d’analyses sont faussées par l’absence de statistiques fiables. Ainsi, dans de nombreux pays, le Produit intérieur brut serait sous-estimé, avance Carlos Lopes. Mais si l’on mesure mal la richesse, comment mettre en place les politiques fiscales appropriées ? La capacité contributive de l’Afrique est sans doute minorée. Un effort d’imposition de 1% supplémentaire, qui peut sembler marginal, rapporterait pourtant davantage que la totalité de l’aide au développement des pays industrialisés ! Nous le répétons volontiers, mais ce point est essentiel : le renforcement des capacités statistiques de l’Afrique doit être une priorité, tant pour les pays pris séparément que pour l’Union Africaine et les organes qui y sont rattachés. Ce fut un des points clés de la stratégie de Carlos Lopes quand il était à la tête de la CEA.

L’Afrique et le défi de l’industrialisation
Le livre de Carlos Lopes alimentera la réflexion sur le modèle de développement que doit emprunter l’Afrique pour créer les conditions d’une transformation structurelle de son économie. Car, en dépit d’une résilience remarquable observée depuis la crise financière de 2008, en dépit de taux croissance moyens parmi les plus élevés de la planète ces dix dernières années, le Continent n’a pas réussi à créer suffisamment d’emplois ni même à endiguer l’extrême pauvreté. Le dynamisme de ses marchés intérieurs, la bonne tenue de ses exportations et l’augmentation significative des flux d’investissements ne compensent pas l’absence de véritables politiques industrielles.
Les exemples du Brésil de la période 1950-1980, de la Chine qui, après sa révolution agricole, s’est transformée en usine du monde, et, plus récemment, de la Malaisie ou des Émirats Arabes Unis montrent que l’émergence est inséparable du processus d’industrialisation. Le constat que dresse Carlos Lopes est préoccupant : la part de l’Afrique dans la production industrielle mondiale a régressé d’un quart entre 1980 et 2010, passant de 1,9% à 1,5%. L’auteur plaide pour un protectionnisme intelligent, inspiré des politiques mises en place dans les pays devenus émergents, et pour une approche volontariste des pouvoirs publics à ce sujet. L’échec des tentatives d’industrialisation menées dans les années 1960 et 1970 ne doivent plus servir d’excuse à l’inertie car les contextes et les objectifs ont radicalement muté.

L’Afrique et le défi de la productivité agricole
Il est urgent de changer notre regard sur l’agriculture et de reconnaître que « l’agriculteur est un entrepreneur comme un autre », pour reprendre la formule que j’employais dans mon livre L’Afrique à l’heure des choix (Armand Colin, 2017). C’est aussi l’idée martelée avec force par Carlos Lopes qui souligne que les défis de l’industrialisation et de la modernisation du secteur agricole sont intimement liés. Certes, la plupart des pays du continent ont doublé leur taux moyen de transformation après le lancement du PDDAA, en 2003, et l’augmentation de la productivité agricole a atteint 67% en moyenne, mais ce taux masque d’énormes disparités. Les progrès restent insuffisants, même si l’Égypte, la Côte d’Ivoire, le Nigeria ou le Ghana ont accompli des performances remarquables. Le rendement moyen des cultures céréalières en Afrique ne représente que 40% du rendement mondial moyen. L’agriculture de subsistance sur de petites parcelles, caractérisée par une très faible productivité, reste le mode de production dominant (80%). Il ne permet pas de dégager des surplus. Marginalisés, les exploitants ont peu accès aux financements et ne parviennent pas à s’intégrer dans la chaîne de valeur.
Un changement de paradigme est pourtant indispensable. L’agriculture africaine va devoir accompagner la croissance démographique exponentielle et l’urbanisation rapide du continent : dès 2020, 50% des Africains vivront en ville. La révolution de l’agro-business ne saurait être différée plus longtemps et les leaders de cette révolution doivent être ceux qui sont appelés les « petits producteurs ».

Mon message lors du SOAS African Development Forum 2019

Bonjour à tous,

Merci de cette invitation qui m’honore. C’est toujours un grand plaisir pour moi de revenir à l’université, lieu où j’ai passé de nombreuses années, parmi les meilleures, à apprendre ou à rendre ce qu’on m’avait appris.

Aujourd’hui, c’est en tant que praticien du développement que je viens vous voir.

Je souhaite plus particulièrement intervenir sur les défis posés au développement de notre continent, plus particulièrement du point de vue de « l’in.sécurité », le thème du Forum cette année, qu’il faut comprendre de façon élargie.

Je voudrais évoquer les événements extraordinaires qui ont marqué la politique africaine cette semaine. Je pense tout particulièrement à la situation algérienne. La décision prise par le président Bouteflika est remarquable à de nombreux égards.

Il convient de la saluer en souhaitant la meilleure issue possible au peuple algérien qui a démontré durant ces manifestations toute sa maturité politique. On sait le rôle crucial que les étudiants ont joué dans la mobilisation.

Depuis deux ou trois ans, je dis que 90% des chefs d’État que nous connaissons actuellement ne seront plus là dans dix ans. Ma prévision se réalise un peu plus à chaque élection, ou à chaque renouvellement de l’offre politique. Et ils ont été nombreux en Afrique ces dernières années.

De plus en plus, la démocratie va progresser au rythme de la jeunesse. Par définition, les transitions à venir portent en elles le renouveau, mais elles peuvent aussi être sources d’instabilité, d’insécurité…

Ces changements interviennent alors que l’Afrique est en train de vivre une période charnière de sa mondialisation. Le monde s’éveille à l’importance de l’Afrique, qui abritera un terrien sur quatre en 2050, dans à peine une trentaine d’années. Les théories du Africa rising ont laissé place à la formule non moins bien marquetée du « New scramble for Africa ».

Cette nouvelle appellation me semble plus juste que la précédente. En tout cas, elle permet de mieux refléter le chemin original que peut prendre une Afrique souveraine, libre de ses choix et courtisée par des puissances étrangères et des entreprises venues du monde entier.

Permettez-moi d’insister sur cinq principes généraux qui mêlent économie et politique et qui me semblent quelques clés pour que ce formidable basculement auquel l’Afrique fait face se déroule bien.

Pour être acceptées par les peuples, c’est ma conviction intime que les réformes « technocratiques » que nous devons entreprendre doivent refléter une vision politique partagée par le plus grand nombre, en l’occurrence la jeunesse de nos pays.

C’est un constat particulier au défi démographique africain et aux centaines de millions de jeunes Africains qui vont arriver en âge de travailler dans les 15 prochaines années.

Premièrement, je voudrais aborder la question de la co-production des politiques publiques comme fondement de toutes les grandes décisions qui vont impacter les populations. Tous les événements récents démontrent à quel point la question n’est pas tant de savoir quelle solution technique élégante choisir que celle qui suscitera l’adhésion chez les populations.

Les systèmes institutionnels et législatifs en Afrique souffrent d’une faiblesse majeure et peu étudiée : le manque de consultation de la population. Les citoyens sont appelés à voter tous les cinq ans, sur des slogans plutôt que des programmes dont les détails leur sont, de toute façon, rarement dévoilés.

Il ne s’agit pas d’établir une hypothétique « démocratie directe », mais d’accroître les formes et les canaux de participation des citoyens dans la vie publique en Afrique. Ce serait une sorte de « syncrétisme institutionnel », en ce qui concerne la définition et la mise en œuvre des politiques publiques.

Il nous faut pour cela puiser dans notre tradition et retourner aux sources de l’arbre à palabres ou de l’indaba. L’Afrique du Sud a inventé les commissions vérité et réconciliation, le Rwanda les tribunaux « gacaca »… Nous sommes capables d’augmenter la participation aux grandes décisions qui nous concernent.

Il s’agit de créer des espaces au sein desquelles les populations sont informées, consultées et impliquées dans la sélection et la réalisation des principaux chantiers censés – c’est le but, après tout, de la démocratie – assurer et promouvoir leur bien-être.

Il nous faut formuler notre diagnostic dans nos propres termes. C’est l’absence de diagnostic propre qui a trop souvent été la cause essentielle de l’échec des politiques de développement tentées un peu partout en Afrique, et le manque d’appropriation qui en découle.

Comment voudrions-nous prononcer un diagnostic pertinent si nous ne sommes pas en mesure d’écouter nos populations ?

Deuxième point, il nous faut reconnaître que les réponses optimales à nos grands défis se trouvent aux niveaux régional et national, suivant une approche intégrée. Les États d’Afrique doivent apprendre à fonctionner ensemble au sein des grandes régions, qui en retour devraient être en mesure de les intégrer.

Je constate avec optimisme que la visite du Premier ministre éthiopien au Kenya a permis de relancer l’idée du LAPSSET, un projet de corridor régional de première ampleur qui devrait permettre de désenclaver une immense région et démultiplier le commerce entre ces deux grandes nations d’Afrique de l’Est.

La coopération régionale n’est pas basée sur une vision romanesque du continent ou une ignorance des réalités économiques. Au contraire, c’est précisément en raison de ces réalités économiques que nous devons défendre les vertus de la concertation.

Au-delà des bénéfices évidents de la mutualisation des infrastructures, la coopération régionale est indispensable pour combattre ou renforcer d’autres aspects du développement africain.

Ainsi en est-il de la négociation des accords commerciaux extérieurs, de la mise en place de bourses régionales (l’Afrique orientale montre le chemin avec le segment agricole de la Bourse de Kigali), des règles communes pour différentes professions, de l’homologation des diplômes, de l’harmonisation des qualifications, etc.

Outre les bienfaits liés aux économies d’échelle induits par la mutualisation des efforts de formation, la reconnaissance réciproque, à l’échelle régionale, des diplômes obtenus dans les pays africains a l’avantage de mieux ancrer les populations, d’encourager la mobilité géographique, donc la concurrence, et, partant, les niveaux de rémunération.

Ce ne sont que quelques exemples.

Troisièmement, comment les intérêts privés peuvent participer de façon rentable aux nouveaux défis. Je pense notamment à la manière dont les entreprises agro-alimentaires, avec les moyens qui sont les leurs, peuvent réellement participer à la professionnalisation et à l’émergence d’une classe d’agro-entrepreneurs.

L’Afrique, avec encore près de 60% de sa population toujours rurale, offre l’opportunité d’expérimenter des nouvelles méthodes. Cela reste un défi et une gageure diront certainement beaucoup d’entre vous, mais je crois que certains acteurs internationaux dans le domaine de l’agro-alimentaire prennent conscience de la nécessité de changer de modèle productif et voient l’Afrique comme l’occasion de développer des modèles originaux en accord avec les populations.

Le développement d’une industrie agro-alimentaire de qualité aura des effets bénéfiques d’entraînement sur des secteurs-clés de l’économie. En effet, au-delà de la production, ce sont les filières, les industries de transformation, et plus généralement tout le secteur des sous-traitants, des récoltants aux producteurs et aux distributeurs, qui se verrait dynamisé par une meilleure organisation du secteur alimentaire.

Quatrième point, le recours plus large aux nouvelles technologies pour recenser nos citoyens et d’apporter une identité politique au plus grand nombre, non seulement pour une meilleure gestion statistique, représentativité démographique, mais aussi accès aux services sociaux (versements d’aide de la part de l’État) via un compte associé.

Cette identité financière dont le développement va s’accélérer avec un taux d’équipement en smartphones en constante progression va avoir des effets inimaginables sur le secteur informel.

Rappelons que le secteur informel est une composante essentielle de la plupart des économies subsahariennes, où sa contribution au PIB s’échelonne entre 25% et 65% et où il représente entre 30% et 90% de l’emploi non agricole.

Si le secteur informel était organisé de façon plus efficiente, il pourrait grandement améliorer le sort de centaines de millions de nos concitoyens. Pour l’instant, le secteur informel n’a pas diminué avec la croissance économique. Au contraire, il a eu tendance à croître plus rapidement que le reste de l’économie.

Les nouvelles technologies nous offrent une opportunité de créer le lien entre deux mondes économiques presque parallèles, le formel et l’informel. La conjugaison des forces vives de l’informel avec la capacité presque organique des nouvelles technologies à connecter et à organiser une nouvelle interaction économique peut déclencher le décollage économique de notre continent.

Et pour finir permettez moi quelques mots sur la question plus générale de l’aide. L’aide est par définition transitoire, pour aider à surmonter une période difficile. Quand elle démontre au capital privé que l’investissement est rentable, elle a fini de jouer son rôle. Elle est par nature transitoire, ou bien alors c’est que l’on pense que notre continent est condamné à demeurer sous perfusion.

Je pense que l’aide publique qui vient des pays développés vers les pays du Sud n’existera plus dans dix ans. Cette aide publique est aujourd’hui destinée de moins en moins aux questions de santé, d’éducation… et de plus en plus aux questions de sécurité et de migration. Ce n’est déjà plus l’aide classique à laquelle on pense.

Autre signe de ce « New scramble for Africa », toutes les récentes rencontres du G7 et du G20 mettent en avant le rôle du secteur privé, européen, américain, japonais, dans les projets de développement et sous la forme de partenariats public-privé. Il faut que l’Afrique se rende compte que l’aide, c’est terminé. Les donateurs, qui étaient au centre des politiques de développement il y a vingt ans, n’y sont plus.

Réalisons que cette aide est bien inférieure, deux fois au moins, à ce que le continent reçoit en versements de la diaspora. Si on compare les flux de l’aide, 25 milliards de dollars, aux flux financiers illicites, plus de 50 milliards selon la CEA, on se rend compte que, si on faisait notre travail à travers de meilleurs systèmes de gestion des taxes, des impôts, des systèmes douaniers, on n’aurait pas besoin de cette aide. De même si nous réussissons à être sérieux sur nos mécanismes de mobilisation des ressources internes…

C’est dans cet esprit là que les pères fondateurs du NEPAD, et plus largement de toute l’architecture institutionnelle panafricaine, une génération qui, avec la décision de M. Bouteflika, a d’ailleurs désormais fini de laisser la place à la suivante, c’est pour que l’Afrique parle d’une seule voix à tous ses partenaires, pour qu’elle pèse plus lourd dans les débats.

Avec l’importance que nous acquérons dans le concert des nations, je suis en effet plutôt optimiste quant à la suite de notre trajectoire.

Merci encore de m’avoir donné l’occasion de partager avec vous ces quelques réflexions. J’espère qu’elles vous seront utiles dans la suite de vos choix professionnels et personnels.

D’ici à 2063 : quatre grandes transitions auxquelles les gouvernements africains devraient prêter attention

Un nouveau rapport définissant la voie à suivre pour une véritable transformation de l’Afrique vient d’être publié. « Africa’s path to 2063 : a choice in the face of great transformations », développé par le Frederick S. Pardee Center, se distingue notamment par sa réflexion de long terme. Nous étions particulièrement fiers de travailler avec des chercheurs internationaux de haut niveau pour mieux comprendre les tendances de notre développement et la voie à suivre pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2063, le cadre stratégique de l’Union africaine pour la transformation socio-économique du continent au cours des 50 prochaines années.

Ce rapport s’appuie sur un logiciel de prévisions quantitatives macro-intégré et révèle les principales transitions auxquelles l’Afrique sera confrontée d’ici à 2063. Quatre grands thèmes de transition sont identifiés : la transition démographique, la transformation du développement humain et de l’inégalité, la transformation technologique et la transformation environnementale.

Le document met l’accent sur ces transitions prévisibles qui devraient être discutées, planifiées et opérées afin d’accroître les opportunités de développement et afin de relever les défis actuels et futurs de l’Afrique. Par exemple, selon l’étude, la population africaine passera de 1,3 milliard à 3 milliards en 2063. Le rythme rapide de la croissance urbaine contraste avec la lenteur des transformations structurelles qui l’accompagnent. Une urbanisation maîtrisée apportera le développement économique, social et humain.

En outre, la croissance économique dans la majorité des pays africains a réduit l’écart de revenu par habitant par rapport aux pays développés, mais il a été constaté que, d’ici à 2063, l’inégalité entre les pays riches et les pays pauvres se creusera encore davantage. Il s’agit d’un appel urgent à créer rapidement des mécanismes de redistribution organisés par les États.

Le rapport conclut que le développement technologique aura un impact positif sur la croissance économique en Afrique. Bien que plus faible que dans d’autres régions, des progrès ont été enregistrés sur le continent, y compris dans les télécommunications qui constituent un marché à fort potentiel. Le Rwanda a considérablement amélioré ses rendements agricoles de 5,6 tonnes par hectare en 2007 à 9,6 tonnes en 2013. La technologie peut être associée à des politiques publiques efficaces.

L’une des principales préoccupations est que notre continent semble être l’un des plus vulnérables au changement climatique. Cela devrait encourager les États africains à adopter une agriculture respectueuse du climat et à prendre des mesures pour promouvoir les technologies vertes. L’évolution des formes de gouvernance permettra de faire face à ces transformations et aux multiples défis qu’elles impliquent. Les pays ont plus que jamais besoin d’adapter leur modèle pour plus de flexibilité et de participation de la société civile.

À cette fin, le rapport met en lumière quatre grandes transitions qui serviront de cadre aux gouvernements africains. Cela exige une compréhension des changements en cours et des choix politiques qui peuvent être faits pour promouvoir le développement tant attendu de l’Afrique. Les États africains, associés aux organisations régionales et continentales, ont les moyens, mais aussi le devoir, de tenir compte de ces transitions et de les inclure dans leur planification stratégique.

Perspectives de croissance en Afrique : la qualité importe plus que la quantité

La Banque africaine de développement vient de publier ses Perspectives économiques en Afrique. L’institution panafricaine basée à Abidjan prévoit que le PIB de l’Afrique devrait augmenter de 4 % cette année, contre 3,5 % en 2018. Ce taux devrait s’accélérer pour atteindre 4,1 % en 2020. Si les perspectives macroéconomiques de l’Afrique s’améliorent indubitablement après plusieurs années de vents contraires, je voudrais alerter sur la nécessité de rester prudent.

D’abord parce que les chiffres sont encore bien en deçà de la moyenne de plus de 5 % que le continent a connue au cours de la décennie précédant la crise des matières premières de 2015, et sont insuffisants pour faire reculer la pauvreté et créer des emplois, comme le souligne très justement le rapport. Malheureusement, depuis des années, la croissance du PIB sur le continent ne se traduit pas en développement économique, en raison d’un manque de réformes structurelles. On ne peut éluder le fait que l’Afrique abrite toujours près de 400 millions de personnes vivant dans une extrême pauvreté. Et que sa part dans le PIB mondial ne dépasse pas les 3%.

En outre, selon l’Indice Ibrahim 2018 de la gouvernance africaine, les opportunités économiques pour les citoyens africains ne se sont améliorées que de 0,2% depuis 2008, malgré une croissance de 40% du PIB du continent. La création d’emplois a augmenté de 1,8% par an entre 2000 et 2014 selon les perspectives de la BAD, soit une croissance inférieure à celle de la population active, estimée à 3% par an. Dans un contexte démographique où 440 millions de jeunes Africains arriveront à l’âge de chercher un emploi dans les quinze prochaines années, il est plus qu’urgent d’agir.

Or il est inquiétant de constater que l’Afrique compte encore trop peu d’exemples de décideurs politiques déterminés sur la voie de la réforme structurelle. La nécessité de réformer s’intensifie dans un contexte de risques croissants liés aux tensions commerciales et à la vulnérabilité de la dette, sujets que j’ai déjà eu l’occasion d’aborder sur ce blog. Je m’inquiète même que les chiffres de croissance économique favorables présentés par la Banque africaine de développement ne rendent complaisants certains décideurs politiques qui peuvent faire valoir ces bonnes performances pour justifier l’inaction.

Comme le dit l’adage en Afrique : la croissance ne se mange pas. Pourtant, ce n’est pas une fatalité : nombreux sont les pays où la croissance « se mange ». De fait, l’Afrique a besoin d’une meilleure croissance, pas seulement d’une croissance plus forte. Pour l’obtenir, les solutions sont bien connues : réformes structurelles, intégration régionale, investissements dans l’éducation et les infrastructures, pour l’instant largement insuffisants si nous voulons former et donner toutes ses chances à la prochaine génération. C’est une responsabilité collective qu’il nous faut assumer ici.

Enfin, c’est aussi la responsabilité des élites politiques de créer la richesse économique qui nous permettra de nous émanciper de l’aide au développement dont nous sommes encore dépendants. Trop nombreux sont ceux qui l’ignorent, mais 80% de nos États pourraient aujourd’hui s’en passer. Je n’entends pas me placer « contre » cette aide, mais j’aimerais rappeler qu’elle est par définition transitoire. Or la nature de la croissance que nous créons en Afrique risque de nous maintenir dans cet état de dépendance. Il y a aujourd’hui véritablement urgence à réfléchir ensemble à créer les conditions d’une « croissance qui se mange » !