L’approche « bottom up » du secteur privé africain fait toute la différence

Les success stories africaines dans privé se multiplient, plus inspirantes les unes que les autres. Un fait frappant explique certains succès fulgurants, qu’il s’agisse de start-ups, de sociétés de télécommunications ou de banques : une approche bottom up, qui part des réalités du terrain pour concevoir des solutions adaptées aux besoins, du plus local au plus global. Et non l’inverse, qui consiste à plaquer des biens ou services importés sans les adapter à la demande.

En effet, un objet tel que le rasoir a la même utilité partout dans le monde. Mais la façon dont il sera vendu va tout changer en Afrique, où il faut tenir compte du rythme des transactions et des échéances, qui ne sont pas nécessairement mensuelles comme en Europe. La logique est plutôt celle de la « dépense quotidienne », la fameuse « DQ »* comme on l’appelle au Sénégal. Cette DQ fait que le pouvoir d’achat s’ajuste au jour le jour à des produits vendus au détail. Voilà pourquoi un sachet de 10 rasoirs a moins de chances d’être acheté que chaque pièce à l’unité.

Dans d’autres domaines, l’ajustement au marché débouche sur des produits parfaitement innovants à l’échelle globale, comme on l’a vu avec M-Pesa, le porte-monnaie électronique qui a permis à l’opérateur de réseau mobile Kenyan d’être mondialement connu. Ce faisant, la solution inventée au Kenya a été reprise dans une grande partie du continent. Elle fait partie du quotidien des Camerounais comme des Malgaches, sans oublier les diasporas africaines qui envoient de l’argent vers leurs familles restées au pays. Comme l’indique le dernier rapport de l’Association des opérateurs GSM (GSMA) sur l’économie numérique en Afrique subsaharienne, le continent abrite près de la moitié des comptes actifs d’argent mobile dans le monde.

La micro-finance et la méso-finance permettent aux sociétés de telecommunications et aux banques de se réinventer, comme on le voit au Sénégal et au Zimbabwe, avec les exemples respectifs de Wari et Econet Wireless. La grande leçon de ces succès est qu’il ne faut pas sous-estimer le potentiel du secteur informel, un terme qui en lui-même a une connotation péjorative, alors qu’il est synonyme d’un dynamisme remarquable.

Ces initiatives participent à une intégration régionale ad hoc, qui se réalise chaque jour sur le plan économique. Une société de commerce en ligne fondée au Nigeria et qui s’est ensuite étendue à d’autres pays a fait cette année les gros titres en raison de sa cotation en bourse à New York. En amont, bien d’autres groupes privés africains font progresser les infrastructures de télécommunications. Des dizaines de milliers de kilomètres de câbles à fibre optique sont ainsi posés à travers le continent, pour relier les pays entre eux, dans une vision qui ne se soucie guère des frontières linguistiques ou culturelles, mais table sur une demande qui ne peut être qu’exponentielle.

Le taux d’accès à Internet, qui se situe à 23 % en Afrique subsaharienne en 2017 selon les chiffres de la Banque mondiale, devrait bondir à 39 % d’ici 2025 selon le rapport du GSMA. L’élargissement de cet accès ne fait pas seulement de l’Afrique une nouvelle frontière de la croissance globale. Il figure aussi parmi les Objectifs du développement durable (ODD), et nourrit bien des espoirs d’essor plus rapide grâce au digital.

Le secteur privé est actuellement le principal pourvoyeur d’emplois sur le continent. L’étendue de ces succès dans ce secteur doit être appréciée à sa juste valeur par les décideurs publics et la grande leçon à tirer du secteur privé africain, pour les responsables politiques en Afrique, tient en ces quelques mots : partir du terrain pour identifier les besoins. Il n’y a pas forcément besoin d’appeler à l’aide, mais d’envisager les actions d’une manière durable, en pensant aux générations futures. Il n’y a que du profit à en tirer, à tout point de vue.

DQ : dépenses quotidiennes

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